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L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

dimensions, mais seulement qu’elle est étendue suivant une dimension.

» Ces mots peuvent être pris en un second sens, comme signifiant des grandeurs fictives ou imaginaires ou des images de grandeurs que l’âme feint en elle-même, non par une quelconque de ses puissances sensitives, mais en sa seule intelligence. Dans la réalité extérieure, il n y a ni aire sans profondeur ni longueur sans largeur ; cependant, l’expérience nous montre que nous pouvons, en nous-même, feindre et considérer une certaine aire sans considérer aucune profondeur, c’est-à-dire concevoir une certaine grandeur étendue seulement suivant deux dimensions ; nous pouvons de même, considérer une pure longueur dénuée de largeur ; nous pouvons encore considérer une figure douée de profondeur, c’est-à-dire une grandeur étendue suivant trois dimensions, suivant trois différences de situation. Ce sont les grandeurs fictives de cette sorte que nous nommerons surfaces, lignes, corps…

» Le géomètre ne suppose pas qu’il y ait, hors de l’âme, de tels indivisibles réels ; il admet seulement qu’ils sont feints dans l’âme et il les définit de la manière susdite… S’il agit ainsi, en voici la cause : Toutes les grandeurs dont traite le géomètre ont longueur, largeur et profondeur ; mais à une telle grandeur certaines propriétés appartiennent en tant qu’elle est longue ; certaines autres, en tant quelle est [longue et] large ; d’autres, enfin, en tant qu’elle est [longue, large et] profonde. Comme il veut nous donner, de ccs propriétés diverses, une connaissance distincte, il imagine, afin de se mieux faire comprendre, une pure longueur ; les propositions qu’il démontre au sujet de cette pure longueur, doivent être conçues comme convenant à la grandeur en tant qu’elle est longue ou, en d’autres termes, en tant qu’elle est longueur. De même, il imagine une largeur afin que ce qu’il en dit soit conçu comme appartenant à la grandeur en tant qu’elle est large. Il imagine aussi des points, mais ce n’est pas qu’il veuille, par ces points, concevoir certaines choses indivisibles qui existeraient hors de l’âme ; là où il imagine qu’il y a un point, c’est afin que l’on y conçoive la négation de toute grandeur. S’il dit, par exemple que certaines lignes concourent en un point, il n’entend pas par là qu’un certain indivisible se place entre ces lignes, mais seulement que ces lignes ne comprennent entre elles aucun espace. S’il dit qu’une ligne est tirée à partir d’un certain point ou se prolonge jusqu’à un certain point, il entend simplement que cette ligne ne s’étend pas davantage. Il en est de meme dans tous les autres cas où il use de points…