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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

que nous venons de citer, chasser toute obscurité. Désormais, la pensée de Guillaume d’Ockam se montre clairement à nous. De même qu’il rapportait tous les mouvements locaux à un repère absolument fixe purement conçu par notre raison, de même, il mesure le temps à une horloge purement idéale que notre esprit construit aussitôt qu’il perçoit un mouvement ou un changement quelconque. C’est en lisant le temps à cette horloge idéale, ce temps que Duns Scot eût appelé le temps potentiel, que l’homme a reconnu l’uniformité du mouvement diurne et, partant, qu’il a pu observer ou construire des horloges visibles.

Mais comment l’homme s’y est-il pris pour comparer le mouvement de la sphère suprême aux indications de cette horloge purement conçue ? Et comment s’explique cet accord entre l’horloge que notre âme a la faculté de penser aussitôt qu’elle a perçu quelque mouvement, et l’horloge corporelle qui est au Ciel ? Ces embarrassantes questions, le Venerabilis inceptor les laisse sans aucune réponse ; on ne voit même pas qu’il ait songé à se les poser.


XI
L’analogie entre le temps et le lieu. François de la Marche


Un franciscain, contemporain de Guillaume d’Ockam, partisan des opinions religieuses soutenues par Ockam et par Michel de Césène, a clairement affirmé le principe qui dirigeait implicitement la théorie du temps admise par le Venerabilis Inceptor ; entre le temps et le lieu, il y a, au dire de François de la Marche, la plus étroite analogie.

Dans ses Questions sur les Sentences, François de la Marche se demande « Si le temps diffère du mouvement[1]. » La réponse qu’il donne ne diffère pas essentiellement de celle que donnait Ockam. La notion de temps n’implique pas seulement l’idée du mouvement ; elle implique en même temps un certain rapport du mouvement qu’on nomme temps à un autre mouvement qui est mesuré par le premier ; en sorte que ce qu’on nomme temps, ce n’est pas n’importe quel mouvement ; c’est un certain mouvement uniforme considéré comme mesure des autres mouvements.

  1. Liber Secundus Sententiarum Magistri Francisci de Marchia ; quæst. IV : Utrum tempus differat a motu. Bibl. Nat., fonds latin, ms. no 3071, fol. 84. col. a.