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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

de notre existence ; ce mouvement perçu par notre conscience est l’horloge normale à l’aide de laquelle nous reconnaissons que le mouvement diurne esl uniforme, à l’aide de laquelle nous apprécierons les changements de vitesse du mouvement diurne si celui-ci perdait de sa régularité.

Ce mouvement uniforme auquel nous avons conscience de coexister, cette horloge normale, c’est un concept ; Ockam l’a mainte fois répété ; ce concept composé, a-t-il ajouté, est propre au mouvement diurne, parce que le premier mobile est le seul corps qui se meuve d’un mouvement uniforme. Mais, au gré de notre auteur, cette uniformité du mouvement diurne est-elle nécessaire comme elle l’était pour Aristote ? Assurément non ; il discute ce qu’il adviendrait si le Ciel se mouvait deux fois plus vite ou deux fois moins vite ; il émet même la supposition que le mouvement diurne n’est peut-être pas tout à fait régulier, que Dieu pourrait faire un mouvement qui le fut davantage. Partant, que le mouvement diurne se règle exactement sur l’horloge normale dont nous avons conscience, que le concept composé qu’est cette horloge soit un concept propre à la rotation du premier mobile, ce n’est pas une proposition nécessaire ; c’est une vérité de fait. Il ne serait point absurde de supposer qu’aucun corps, hors de notre intelligence, ne réalise ce mouvement uniforme que conçoit notre esprit ; nous n’en posséderions pas moins une horloge normale, purement conçue, à l’aide de laquelle se pourrait mesurer la durée des divers mouvements.

C’est d’une façon semblable qu’il faut sans doute entendre la réponse d’Ockam à cette question : S’il y avait plusieurs premiers mobiles, partant plusieurs premiers mouvements, y aurait-il plusieurs temps ?

« S’il y avait plusieurs Cieux également premiers, dit Ockam[1], et plusieurs premiers mouvements, il y aurait en réalité plusieurs temps ; mais tous ces temps seraient, par équivalence (per equivalentiam) un seul temps, c’est-à-dire que, pour mesurer, ces temps multiples ne feraient rien de plus qu’un temps unique. »

Cette locution : par équivalence, dont Ockam, après Scot, usait dans la théorie du lieu, nous conseille de rapprocher de celle-ci la théorie du temps ; le conseil est d’autant plus pressant que les Summulæ, pour expliquer les mots : per equivalentiam, empruntent un exemple à la théorie du lieu ; ce rapprochement va, de ce

  1. Gulielmi de villa Hocham Summulæ in libros Physicorum, pars IV, cap. XI ; éd. Venetiis, 1506, fol. 26, col. d.