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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

esse transmutabili), c’est-à-dire dès là qu’il perçoit sa propre coexistence à un mobile mû d’un mouvement uniforme et continu ou qu’il saisit cette proposition : Je coexiste à un certain corps mû d’un mouvement continu et uniforme.

» En second lieu quand nous percevons, comme il vient d’être dit, que nous existons d’une existence sujette au changement, nous[1] percevons le temps d’une manière essentielle, car nous percevons alors que quelque chose se meut d’une manière continue et uniforme, ce qui est percevoir le temps d’une manière essentielle.

» En troisième lieu,… comme il n’est pas de corps, si ce n’est le Ciel, qui se meuve d’un mouvement régulier et uniforme, nous ne pouvons comprendre que nous existons d’une existence sujette au changement sans saisir le mouvement du Ciel, du moins par un concept composé.

» En quatrième lieu, on voit comment le temps appartient accidentellement (accidit) au mouvement du Ciel ; hors le Ciel, en effet, il n’existe aucun corps mû de mouvement uniforme à l’aide duquel l’âme puisse mesurer les autres mouvements d’une manière très certaine.

» Outre tout cela, il est assuré que cette proposition : Le Ciel se meut, n’est pas connue de tout homme qui perçoit le temps comme existant perpétuellement dans les choses. Un homme peut saisir le mouvement du Ciel dans un concept composé, et cependant ignorer cette proposition : Le Ciel se meut… Un aveugle de naissance ignore cette proposition : Le Ciel se meut, car il n’a jamais vu le mouvement du Ciel ; il peut, cependant, saisir le mouvement du Ciel par un concept composé : il lui suffit de saisir cette proposition : Je coexiste à un certain corps mû d’un mouvement continu et uniforme ; c’est là, en effet, un concept propre au mouvement du Ciel. »

Nous comprenons maintenant ce qu’entendait Guillaume d’Ockam lorsqu il disait : « Si le Ciel se mouvait deux fois plus vite, son mouvement s’accomplirait en deux fois moins de temps qu’à présent, car il y a ici-bas un certain mouvement régulier et uniforme qui est le temps et la mesure du mouvement du Ciel, quia aliquis motus inferior, qui est regularis et uniformis, est tempus et mensura motus celi. » Ce mouvement régulier et uniforme qui permettrait de reconnaître un changement de vitesse dans le Ciel, c’est ce moment auquel notre conscience nous dit que nous coexistons dès là que nous percevons le caractère changeant

  1. Au lieu de : nos, le ms. porte presque toujours : non.