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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

Or, percevoir notre coexistence à ce mobile, c’est percevoir le temps ; cette perception n’exige donc pas que nous soyons en mouvement ni dans notre corps ni dans notre âme…

» Seconde conclusion : Nous pouvons percevoir le temps sans saisir le mouvement diurne, soit par la perception, soit par un concept simple…

» Troisième conclusion : Celui qui perçoit le temps ne conçoit pas nécessairement le mouvement du Ciel par un concept composé propre au mouvement du Ciel ; il peut, par exemple, percevoir le mouvement d’une horloge et, à l’aide de ce mouvement, mesurer les autres mouvements, sans former aucun concept [simple ou composé] propre au mouvement du Ciel.

» Quatrième conclusion : Quiconque perçoit le temps peut, de l’avis du Commentateur, saisir le mouvement du Ciel dans un concept [composé] qui est propre à ce mouvement. En voici la raison : Sans voir le mouvement d’aucun corps céleste, un homme peut percevoir le mouvement de quelque corps extérieur ou bien imaginer un mouvement. Cela fait, il peut imaginer qu’il coexiste lui-même à un certain mobile mû d’un mouvement continu et uniforme ; par conséquent, il peut comprendre cette proposition : Je coexiste à un certain mobile mû d’un mouvement continu et uniforme. Dès là qu’il comprend cette proposition, il saisit un concept composé qui est propre au corps céleste en mouvement, savoir [le concept de] ce mouvement uniforme, régulier et très vite ; nul mouvement n’est tel, en effet, si ce n’est le mouvement du Ciel ; et selon l’intention du Philosophe, aucun autre mouvement ne peut être tel, bien que Dieu puisse faire un mouvement plus vite et, peut-être, un mouvement plus régulier que le mouvement diurne du Ciel. On voit ainsi qu’alors même qu’il ne serait perçu par aucun sens, le mouvement du corps céleste peut être, cependant, saisi par l’intelligence, non sans doute au moyen d’un concept particulier simple, mais au moyen d’un concept composé qui lui est propre. Cela fait, une perception peut ensuite survenir en l’âme, perception par laquelle elle reconnaît qu’un certain corps se meut de mouvement continu et uniforme : elle peut alors, par le mouvement de ce corps, mesurer les autres mouvements qui ne sont point uniformes et réguliers. Voilà donc ce que c’est que percevoir le temps d’une manière essentielle, car ce temps, c’est une mesure régulière et uniforme…

» On voit par là comment un homme qui ne voit pas le Ciel perçoit cependant le mouvement du Ciel dès là qu’il se perçoit comme existant d’une existence sujette au changement (se esse in