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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Mais nous ne savons pas immédiatement que ce concept d’un mouvement uniforme trouve, dans le premier mouvement, sa réalisation ; Ockam vient de nous le dire ; nous pourrions avoir ce concept tout en ignorant qu’il est réalisé, tout en niant qu’il soit réalisé par aucun mouvement extérieur. C’est donc l’observation, et l’observation seule, qui nous apprendra que le mouvement diurne réalise ce mouvement continu et umiforme dont nous avons conçu l’idée. C’est ce que le Tractalus de successivis aura soin d’affirmer.

« Cette conception une fois formée en notre âme, une perception subséquente pourra se faire par laquelle nous saurons que tel corps se meut d’un mouvement continu et uniforme, c’est-à-dire du seul mouvement par lequel notre âme puisse mesurer les autres mouvements discontinus ou non uniformes… » Or l’âme reconnaît de la sorte « que le temps n’advient qu’au mouvement du Ciel, car il n’existe aucun autre corps mû uniformément à l’aide duquel l’âme puisse, d’une manière très certaine et très parfaite, mesurer les autres mouvements. » )

Toute cette théorie, ébauchée aux Summulæ, développée au Tractatus de successivis, est reprise en grand détail par les Quæstiones super librum Physicorum  ; peut-être, afin de la mettre en pleine lumière, sera-t-il bon de citer quelques fragments de ces Questions.

« Est-il[1] dans l’intention du Philosophe que quiconque perçoit

» Au sujet de cette question, voici notre première conclusion : Selon l’intention exprimée par le Commentateur au commentaire que nous avons invoqué, il ne nous est point nécessaire, pour que nous ayons la perception du temps, de percevoir que nous changeons réellement ; il n’est pas nécessaire que notre corps ni notre âme soient en mouvement…

» Il apparaît donc que nous pouvons percevoir le temps sans que notre âme soit en mouvement, à plus forte raison sans que notre corps se meuve, parlant, sans que nous soyons mus d’aucune façon ; la raison en est qu’au gré du Commentateur, nous pouvons percevoir que nous coexistons à un certain mobile mû d’une manière continue et uniforme ; par le mouvement de ce mobile, l’âme peut mesurer les autres mouvements non uniformes.

  1. Questiones magistri Guclelmi de Okam super librum phisicorum ; quest. XLV : Utrum secundum intentionem Philosophi, quilibet percipiens tempus percipit motum celi (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms, no 1139, fol. 9, col. d).1