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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

peut comprendre que le temps existe, mais non pas d’une manière directe et essentielle. Voici, en effet, quel sera, en cela, le procédé suivi :

» Un homme voit le corps céleste se mouvoir ou perçoit quelque mouvement extérieur ou bien imagine un mouvement. Cela fait, il peut imaginer qu’il coexiste à quelque corps mû de mouvement continu et uniforme (potest imanigari se coexistere alicui uniformiter et continue moto) ; par conséquent, il peut comprendre cette proposition : Je coexiste à un corps mû d’un mouvement continu et uniforme. Mais en concevant cela, il conçoit quelque chose qui est propre au corps céleste, car celui-ci se meut de mouvement continu et uniforme. Par conséquent, bien que le mouvement du corps céleste ne soit perçu par aucun sens, il est néanmoins conçu, non pas en un concept particulier et simple, mais en un concept composé. »

Un passage des Summulæ précisera ce que nous devons entendre par là :

« Il est parfois possible qu’on ait un tel concept complexe bien qu’on ignore à quelle chose ce concept est propre ; il est même possible qu’on ait un tel concept bien qu’on ignore si ce concept est propre à aucune chose. Ainsi ce concept d’un mouvement uniforme et très rapide convient au premier mouvement ; mais on peut avoir ce concept bien qu’on ignore quel est ce mouvement uniforme et très rapide ; et même, il serait possible qu’on eût ce concept alors même qu’on douterait de l’existence d’un tel mouvement ou qu’on la nierait. »

Ce mouvement uniforme, continu, très rapide, qui est purement conçu, c’est l’horloge à l’aide de laquelle nous comparons entre elles les diverses durées.

« Celui qui veut déterminer, disent encore les Summulæ, combien une chose se meut, demeure en repos ou dure, forme naturellement et aussitôt ce concept ; il dit en son esprit : S’il existait d’une manière absolue un mouvement parfaitement uniforme et très rapide (si simpliciler esset motus velocissimus et uniformissimus), cette chose qui se meut se mouvrait plus vite ou plus lentement que lui. Et ainsi, d’une manière générale, toutes les fois que l’intelligence veut mesurer quelque chose par le temps, elle forme naturellement concept. C’est ainsi que quiconque perçoit le temps conçoit un mouvement, et non seulement il conçoit un mouvement, mais il conçoit le premier mouvement, c’est-à-dire qu’il possède un concept propre au premier mouvement, savoir ce concept d’un mouvement uniforme et très rapide. »