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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

voir. Les lignes que nous venons de citer sont, en effet, immédiatement suivies de celles-ci :

« Il est manifeste que si nous sentons que nous existons d’une existence sujette au changement, c’est seulement par suite du mouvement du Ciel (manifestum est quod nos non sentimus esse in esse transmutabili nisi ex transmutatione cæli). S’il était possible que le Ciel s’arrêtât, il serait possible aussi que nous existassions d’une existence incapable de changement ; mais cela est impossible. Il est donc nécessaire que celui-là même qui ne perçoit pas par la vue le mouvement du corps céleste ait, cependant, la sensation de ce mouvement. »

Ce passage nous paraîtrait bien étrange et, peut-être, bien obscur, si nous n’avions, pour l’expliquer et l’éclaircir, tout l’enseignement d’Aristote et d’Averroès. Souvenons-nous de cette affirmation posée par Aristote, aux Météores, que le Monde sublunaire tout entier est subordonné aux circulations célestes ; souvenons-nous du Sermo de substantia orbis, où Averroès déclare si nettement que tous les mouvements de la sphère élémentaire ont pour causes les mouvements célestes, et que si ceux-ci pouvaient prendre fin, ceux-là s’arrêteraient aussitôt ; de suite, les paroles que nous venons de lire s’éclaireront. La vie de notre âme, comme tous les changements d’ici-bas, se déroule suivant un rythme dont les circulations célestes battent la mesure ; percevoir cette vie changeante, c’est donc percevoir le mouvement qui règle et régit tous les autres, la révolution du premier mobile.

Ainsi, c’est du principe essentiel de l’Astrologie péripatéticienne qu’Averroès tire la solution du problème du temps.

C’est cette théorie que Guillaume d’Ockam va reprendre, mais en la séparant du principe astrologique qui, pour Averroès, en est le véritable support ; de la doctrine qu’il va composer de la sorte, Ockam touche quelques mots dans ses Summulæ in libros Physicorum[1] ; mais il l’expose avec beaucoup plus de détail dans son Tractatus de successivis[2] ; c’est là que nous en prendrons surtout connaissance.

Voici donc l’intention que le Venerabilis inceptor prête à Averroès :

« Le Commentateur entend dire ceci : Quiconque sent un mouvement quelconque peut sentir le temps ou, en d’autres termes,

  1. Gulielmi de villa Hocham Summule in libros Physicorum ; pars IV, cap. XI ; éd, 1506, fol. 26, col. b et c.
  2. Tractatus de successivis editus a Guillelmo Ocham, cap. II ; ms. cit., fol. 138, col. c et d.