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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

et c’est le suivant : Il est bien vrai que tout mouvement nous donne la sensation de temps ; mais il ne nous la donne pas d’une manière directe et essentielle, car il y aurait alors autant de temps qu’il y a de mouvements réels ou même de mouvements imaginables.

La perception du temps ne résulte donc pas directement et essentiellement de la sensation de n’importe quel mouvement ; elle se forme seulement en nous à propos de cette sensation.

« Lorsque nous percevons un mouvement quelconque, nous percevons aussi ce mouvement unique dont le temps est un accident. » S’il en est ainsi, les difficultés qui nous embarrassaient s’évanouissent. Détaillons donc cette réponse.

Lorsque nous percevons un mouvement quelconque, soit extérieur, soit intérieur à notre âme, nous sentons que nous existons d’une existence mobile et sujette au changement (sentimus nos esse in esse moto et transmutabili), d’une existence que sa continuelle transformation rend divisible. C’est par là, et par là seulement, que nous percevons le temps. Si nous existions d’une existence que l’absence de toute transformation rendît indivisible, cette existence constituerait un instant, et il n’y aurait pas, pour nous, de temps. Il faut donc, pour que nous ayons la sensation de temps, que nous existions d’une existence changeante et mobile, et que nous percevions que notre existence est de cette sorte.

« Nous percevons directement, d’ailleurs, que nous existons d’une existence sujette au changement, nous sentons, par exemple, que l’instant où ce discours a été commencé est distinct de l’instant où il a été achevé.

» Le mouvement, donc, qui, lorsqu’il est perçu, nous donne directement et essentiellement la sensation du temps, c’est le mouvement par lequel nous sentons que nous existons d’une existence sujette au changement, par lequel nous sentons que nous changeons parce que nous sommes doués d’une telle existence.

» Ainsi donc, comme nous l’avons dit, toutes les fois que nous percevons un mouvement quelconque, nous sentons que nous existons d’une existence sujette au changement ; et sentir que nous existons d’une existence changeante, c’est ce dont découle, pour nous, la sensation de temps. »

Mais puisque Averroès rattache ainsi la sensation de temps à la seule perception interne de notre existence changeante, comment rejoindra-t-il la pensée d’Aristote qui fait du temps une propriété du mouvement de la sphère suprême ? Nous l’allons