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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

nous permette de définir le temps, le seul qui nous puisse servir d’horloge.

Le Commentateur attachait du prix au système qu’il était parvenu à construire : « Cette question, dit-il[1], est demeurée fort longtemps avant de devenir claire à mes yeux ; en tout ce que j’ai écrit d’autre sur le temps, j’ai suivi les commentateurs ; mais ici, non. »

Averroès pose, d’abord, comme un fait que la perception du temps peut résulter en nous de la seule connaissance des changements intérieurs à notre âme, sans que nos sens nous révèlent aucun mouvement extérieur.

« Percevoir le temps, dit-il, ce n’est pas percevoir quelque mouvement saisi par l’un de nos sens, car nous avons la sensation du temps alors même que nous nous trouvons dans l’obscurité et qu’aucun mouvement ne parvient jusqu’à nos sens ; nous avons donc cette sensation uniquement parce que nous sentons, en notre âme, un mouvement quelconque. Aussitôt, en effet, qu’en notre âme, nous imaginons un mouvement, nous saisissons la notion du temps.

» Mais dans ce que dit Aristote, il y a une difficulté qui n’est petite.

» Si le temps n’est pas la conséquence d’un certain mouvement qui existe hors de l’âme, s’il est conséquence du mouvement de notre imagination, comme l’imagination n’existe pas hors de l’âme, le mouvement, dont le temps est la conséquence, n’aura pas non plus d’existence hors de l’âme. Comment donc Aristote va-t-il nous dire que le temps est une suite du mouvement céleste ?… Si le temps résulte uniquement du mouvement céleste, n’adviendra-t-il pas que l’aveugle ne percevra pas le temps, lui qui n’a jamais perçu le mouvement céleste ? D’autre part, si le temps résulte de n’importe quel mouvement, il y aura autant de temps que de mouvements, ce qui est impossible.

» Évidemment, donc, ou bien le temps n’a pas d’existence tout mouvement, et les temps sont alors multiples comme le sont les mouvements ; ou bien il est la conséquence d’un seul et unique mouvement, et alors, qui ne perçoit pas ce mouvement n’a pas la sensation du temps. Tout cela est impossible. »

À ces difficultés, Averroès ne trouve qu’un moyen d’échapper,

  1. Averrois Cordubensis Commentaria magna in libros Physicorum Aristotelis ; lib. IV ; summa III : De tempore ; cap. III ; comm. 98.