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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

» Ainsi encore, bien souvent, les ouvriers, de la connaissance de l’ouvrage qu’ils ont accompli, tirent la connaissance de l’heure qu’il est.

» Il arrive enfin qu’on mesure le mouvement du Ciel à l’aide de l’espace franchi par un mobile ; si l’on connaît l’espace que ce mobile a franchi, on peut savoir quelle a été la durée du mouvement et, par conséquent, savoir que le temps, mesure de ce mouvement, a été long.

» On voit donc d’une façon manifeste que tout mouvement d’ici-bas à l’aide duquel on mesure le mouvement du Ciel est un temps ; mesurer, en effet, une chose par une autre, c’est tout simplement, connaissant la grandeur de celle-ci, parvenir à la connaissance de la grandeur de celle-là…

» Toutefois, le mouvement des astres errants, pris pour mesure des autres mouvements et opérations, est plus proprement appelé temps que le mouvement de n’importe quelle chose d’ici-bas ; et cela, parce que les mouvements des astres errants sont plus uniformes, plus vites et moins sujets à empêchement que les mouvements d’ici-bas. Mais le mouvement qui, de la manière la plus propre, est appelé temps, c’est le premier mouvement, le mouvement diurne ; de tous les mouvements, en effet, il est le plus vite et le plus uniforme ; c’est donc à l’aide de ce mouvement que l’âme peut, avec le plus de certitude, mesurer les autres mouvements. »

À la première lecture, ce passage nous suggère la pensée que n’importe quel mouvement, qu’il s’accomplisse sur terre ou au Ciel, peut être pris pour mesure des autres mouvements et donc être appelé temps. Mais si l’on y regarde de plus près, on voit qu’avant de prendre un mouvement pour mesure des autres mouvements, Ockam suppose toujours qu’on l’ait mesuré, qu’on en ait reconnu l’uniformité et la régularité, qu’on ait réglé l’horloge dont on se sert ; c’est admettre qu’il existe un certain mouvement normal, imposé d’avance, qui sert à régler les autres, qui seul est vraiment le temps.

Comme Aristote, Guillaume d’Ockam croit que le choix du mouvement qui doit servir à définir le temps, à mesurer les autres mouvements, est imposé à l’homme, qu’il n’est point arbitraire. Mais ce qu’il dit pour expliquer et justifier son opinion, il le donne comme un complément et un éclaircissement de ce qu’Averroès avait écrit sur ce sujet. Lisons donc, tout d’abord, les considérations par lesquelles Averroès pensait établir cette conclusion : Le mouvement du premier mobile est le seul qui