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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

manière de voir, la nature n’impose pas à l’homme l’horloge dont il doit user ; le choix de l’horloge résulte d’une convention arbitraire, dans laquelle on a seulement égard à des raisons de convenance et de commodité.

Au sujet du temps, il semble que tous les philosophes de l’Antiquité aient embrassé le premier parti.

Les Pythagoriciens et, plus tard, les Néo-platoniciens admettaient tous, sous des formes diverses, l’existence d’un temps transcendant au monde des corps, à l’aide duquel se trouvaient mesurés tous les mouvements, tous les changements de la nature visible. Un mouvement uniforme, c’était, à leur gré, tout mouvement qui accomplit des parcours égaux en des durées que cette horloge divine marque comme égales. Êtres divins, les corps célestes ne peuvent accomplir que des rotations uniformes. Chacun d’eux et, en particulier, l’orbe des étoiles inerrantes, est donc une horloge visible exactement réglée sur l’horloge qui marque le temps parfait dans le monde des idées.

Aristote avait pris la théorie du temps d’un tel biais qu’on l’eût vu sans surprise aboutir à cette conclusion : Le choix de l’horloge est arbitraire. Tout mouvement, semble-t-il, où l’on peut énumérer les états successifs du mobile est propre à définir un temps. Aristote paraît avoir grandement redouté que, de son enseignement, on ne tirât une telle conséquence ; il s’est attaché à affirmer l’existence d’un temps unique, qui fût le même en tous lieux, sur terre et sur mer, qui fût le même en d’autres Mondes si, par impossible, il en existait ; il n’a eu de repos qu’il n’eût rejoint les doctrines pythagoriciennes par cette proposition : L’horloge qui définit le temps unique et véritable, c’est la sphère des étoiles fixes.

La lecture de ce que Guillaume d’Ockam a écrit au sujet du temps éveille en nous une impression assez semblable à celle qu’y fait naître la lecture d’Aristote. Comme le Philosophe, le Venerabilis inceptor semble parfois sur le point d’admettre que l’homme aurait pu prendre pour horloge tout mouvement d’apparence régulière.

Voici par exemple l’objection qu’en ses Questions sur le livre des Physiques, il formule contre cette affirmation : Le temps c’est le mouvement[1], et qu’il résout ensuite.

« Ici se présente un doute. Pour qu’une quantité soit la même

  1. Questiones magistri Guglelmi de Okam super librum phisicorum ; quæst. XL : Utrum tempus sit motus (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms, no 1139, fol. 9, col. a).