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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

toute chose qui peut être imaginée [comme existant] hors de l’âme et qui est signifiée par ce nom : instant, ou par cet adverbe : maintenant, est une chose permanente qui peut durer pendant un certain temps.

« L’instant n’est pas, comme les modernes l’admettent, une chose qui passe soudainement (raptim) et qui est, en sa totalité, distincte de toute réalité permanente… »

« L’instant[1] n’est pas une chose qui cesse tout-à-coup (statim) d’exister dans la réalité naturelle ; mais l’instant n’est rien d’autre que le premier mobile lui-même…

» L’instant n’est rien que le premier mobile dont les parties existent quelque part où elles n’étaient pas immédiatement auparavant ; en sorte que ce nom : instant, exprime simplement le premier mobile existant en un lieu où il n’était pas immédiatement avant et où il ne sera plus immédiatement après. »

« On voit clairement ainsi[2] comment il peut se faire qu’on assigne un premier maintenant et, ensuite, un second maintenant postérieur au premier. C’est que l’on dit, d’abord : Maintenant, cette partie du mobile est dans la situation que voici, et que l’on dit ensuite : Maintenant, cette partie du mobile est dans la situation que voilà ; et plus tard, il sera vrai de dire : Maintenant elle est en telle autre situation ; et ainsi de suite. Ainsi est-il évident que maintenant ne signifie pas une certaine chose distincte, mais que ce mot signifie toujours le premier mobile qui demeure toujours identique à lui-même…

» Il nous arrive donc d’assigner un instant présent (nunc) antérieur et un instant présent postérieur ; en d’autres termes, il nous arrive de dire d’abord : cet instant présent est en A et n’est pas en B ; et ensuite, il sera vrai de dire : Cet instant présent est en B et n’est pas en A. Il se trouve donc que des affirmations contradictoires sont vraies successivement. »

Nous avons vu que Grégoire de Rimini reprenait, au sujet du temps et du mouvement, une bonne partie de ce qui vient d’être dit par Guillaume d’Ockam ; la théorie du philosophe augustin se distingue cependant de celle du philosophe franciscain en ce qu’elle insiste beaucoup moins que cette dernière sur la place qu’il faut attribuer, dans la définition du temps, à l’action de l’esprit. Grégoire, pourrait-on dire, se borne à poser cette affirma-

  1. Gulielmi de villa Hoccham Summulæ in libros Physicorum, pars IV, cap. VIII ; éd. Venetiis, 1506, fol. 25, col. b.
  2. Tractatus de successivis éditas a Guillelmo de Ocham, cap, II ; ms. cit., fol. 140, col. c.