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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

« Au pied de la lettre[1], on doit regarder ces affirmations comme vraies : Le temps est mouvement et le mouvement est temps, car mouvement et temps remplacent une même chose (pro eodem supponunt). Partant, de même qu’on doit, à proprement parler, regarder comme vraie cette proposition : Le temps est le mouvement à l’aide duquel l’âme mesure combien dure un autre mouvement, de même doit-on aussi concéder cette autre proposition : Le temps est mouvement. De même, voici une proposition vraie : Le mouvement peut être sans que le temps soit ; mais voici une proposition fausse : Le temps peut être sans que le mouvement soit. La raison en est que le temps implique (importat), outre le mouvement, un acte par lequel l’âme mesure d’une manière actuelle ; le temps, c’est en effet le mouvement à l’aide duquel l’âme connaît quelle est la durée d’un autre mouvement ; il est donc impossible qu’un mouvement soit temps, si ce n’est par l’âme ; de même donc que cette proposition est vraie : Le mouvement peut être sans que l’âme soit, de même celle-ci est vraie : Le mouvement peut être sans que le temps soit.

» De même encore cette proposition est vraie : Le temps peut être sans que l’âme soit, pourvu qu’on prenne le sujet [le temps] pour ce qu’il est [en réalité] ; en effet, le mouvement qui est le temps peut être sans que l’âme soit. Cette proposition est également vraie : Sans l’âme, le temps peut être mouvement, à condition de prendre le sujet pour ce qu’il est ; elle équivaut en effet à cette phrase : Sans l’âme, un mouvement peut être mouvement. Mais cette proposition-ci est fausse : Sans l’âme, le temps peut être temps, car si le sujet n’appelle pas sa forme, le prédicat, lui, la réclame. Bien donc que, sans l’âme, le temps puisse être mouvement, le temps ne peut, sans l’âme, être temps, »

Nous avons là un remarquable exemple de la subtile précision où se complaisait la logique d’Ockam.

Les considérations que le Venerabilis inceptor développe au sujet de l’instant sont fort analogues à celle que le temps lui a suggérées.

Pour comprendre exactement ce que le Philosophe dit de l’instant. écrit-il[2], il faut savoir que l’instant ou le maintenant (nunc) ne signifie aucune chose qui ne soit permanente ; en sorte que

  1. Quesitones magistri Guglelmi de Okam super librum phisicorum, quæst. XL : Utrum tempus sit motus (Bibliothèque Nationale, fonds latin, nouv. acq., ms. no 1139, fol. 9, col. a).
  2. Tractatus de successive éditas a Guillelmo de Ocham, cap. II ; ms. cit. fol. 140, col. b.