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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

en sa totalité de toutes les choses permanentes, et dont la nature ou l’être puisse s’exprimer par le moyen d’une définition. Mais il nous faut imaginer que ce nom signifie le premier mouvement continuel et uniforme ; qu’il signifie aussi ou, mieux, en même temps, l’âme qui, dans ce mouvement, conçoit l’avant, l’après et ce qui est entre deux. C’est dire que ce nom désigne quelque chose qui, avec une grande vitesse, se meut d’une manière continuelle et uniforme, et dont l’âme dit que telle partie était d’abord en telle situation et, ensuite, en telles et telles autres situations. C’est tout cela qui est exprimé par ce nom de temps, encore que certaines de ces choses soient exprimées directement, et d’autres indirectement, que l’une soit signifiée par un verbe et que d’autres soient, d’une certaine façon, signifiées par un adverbe.

» Ce que le Philosophe exprime par cette définition, c’est que ce nom : temps, ne signifie rien d’extérieur à l’âme qui ne soit également signifié par ce nom : mouvement ; cependant, outre cela, ce nom implique ou signifie l’âme même qui dit : Le mobile était d’abord ici et ensuite là ; qui dit que ces deux positions sont distinctes, c’est-à-dire que le mobile ne peut être à la fois ici et là…

» Ainsi le mot : temps signifie, en premier lieu et principalement, cela même que signifie le mot : mouvement, bien qu’il signifie, en outre, non seulement l’âme, mais encore l’acte par lequel, dans ce mouvement, l’âme connaît l’avant et l’après. »

« Dire que le temps est mouvement, écrit encore Ockam[1], cela revient à dire que c’est le mouvement par lequel l’âme connaît quelle est la grandeur de tout autre mouvement, propriété qui ne peut, sans l’âme, appartenir à un mouvement ; il est donc impossible qu’un mouvement soit le temps, si ce n’est par l’âme, de même qu’il est impossible que, sans l’âme, le temps soit ce par quoi l’âme mesure le mouvement.

» Il est maintenant évident que l’opération de l’âme doit nécessairement avoir sa place dans la définition qui exprime le sens du nom (quid nominis) de temps. C’est pour cela qu’au commentaire 88, le Commentateur dit que le temps est au nombre des êtres dont l’acte reçoit, de l’âme, son achèvement ; et c’est peut-être ce qu’il entendait quand il disait : …Le temps est un de ces êtres cachés qui, si l’âme n’était pas, n’existeraient pas non plus, si ce n’est en puissance. »

  1. Guillaume d’Ockam, loc. cit., fol. 108, col. a.