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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

vement, qu’un mobile se meut plus longuement (diutius) qu’un autre, car celui-là se meut plus longuement qui se meut plus longtemps. Le temps est aussi la mesure des choses temporelles ; à l’aide du temps, nous reconnaissons qu’une chose permanente a plus de durée qu’une autre. Enfin, de même que le temps mesure les mouvements et les choses temporelles, il mesure aussi les repos. …Ce sont là les principales raisons pour lesquelles on pose le temps et pour lesquelles la connaissance du temps nous est nécessaire.

» Or la grandeur d’une mesure doit nous être mieux connue que la grandeur de l’objet mesuré, puisque c’est par la grandeur de la mesure que nous sommes instruits avec précision de la grandeur de l’objet à mesurer. Il résulte donc de ce qui précède que la nature du temps, en ce qui concerne sa grandeur, doit être mieux connue que la grandeur des mouvements qu’il mesure. Donc le temps n’est pas, comme certains le disent, une chose latente et inconnaissable. Il y a plus ; il nous est bien connu, et il n’est pas connu seulement des savants, mais de tous ceux qui ont l’usage de la raison. Il n’est pas d’idiot qui n’ait connaissance de quelque chose par le temps, qui ne sache, par exemple, quel est, de deux corps, celui qui demeure le plus longtemps au repos…

« Si l’on dit que le temps est fort inconnu, c’est à cause de certaines difficultés rencontrées par ceux qui veulent traiter de la nature du temps à l’aide de textes mal compris qu’ils empruntent aux auteurs ; les gens qui philosophent de la sorte, sans entendre les manières de parler et les textes autorisés des philosophes, ont plus de doutes au sujet du temps que les simples qui se servent uniquement du commun langage. »

Voyons donc comment Ockam va s’y prendre pour dissiper tous les nuages qui ont été accumulés autour de cette notion de temps. Commençons par la définition qu’Aristote en a donnée.

« Cette définition[1] : Le temps est ce qui énumère, dans le mouvement, l’avant et l’après, n’est pas, il faut bien le remarquer, une définition proprement dite ; c’est seulement une définition qui exprime le sens d’un nom (quid nominis), définition comme on en peut donner des verbes, des conjonctions, des adverbes, etc. ; et cela, parce que le temps ne saurait recevoir aucune définition.

» En effet, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, ce nom de temps ne signifie pas une certaine chose une, distincte

  1. Tractatus de successivis editus a Guillelmo de Ocham, cap. II, ms. cit., fol. 139, col. b.