Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
L’INFINIMENT PETIT ET L’INFINIMENT GRAND

cile, pour ne pas dire impossible, d’imaginer ou de concevoir ces points.

» Il n’y a, d’ailleurs, à ce sujet, aucune autorité authentique.

» Enfin, qu’aucune raison ne nous contraigne d’admettre des points, je vais le montrer. En effet, si l’on pouvait arguer en faveur de cette opinion, ce serait, comme on le voit par ceux qui supposent de tels points, en tirant argument soit de la lînitude de la grandeur, soit de la continuité de cette grandeur, en s’appuyant sur ceci : que toute grandeur est finie, ou sur ceci : que toute grandeur est continue.

» Mais la première proposition n’oblige pas à admettre l’existence des points, et je le prouve. Je demande, en effet, comment ces gens conçoivent qu’une ligne soit terminée par un point. Ou bien ils l’entendent ainsi : Grâce à ce point, la ligne a une mesure et une étendue fixées (certæ) ; elle a une dernière partie, de grandeur déterminée ; en sorte que si le point ne terminait pas la ligne, cette ligne n’aurait pas d’étendue fixée ; elle n’aurait pas de dernière partie ; que dis-je ! au delà de toute partie de telle grandeur, elle aurait une autre partie de même grandeur ; elle serait infiniment étendue. Ou bien ce n’est pas de la sorte qu’ils entendent que le point met fin à la ligne ; c’est d’une autre manière ; mais on n’aperçoit d’une manière évidente aucune autre manière de dire que la ligne est terminée par le point, et rien de ce que nous connaissons ne nous en lait nécessairement supposer une autre ; ce n’est donc pas par quelque autre mode de terminaison que l’on peut regarder le point comme mettant fin à la ligne… Or qu’il ne soit point nécessaire, même en la première manière, d’admettre l’existence du point pour que la ligne ait une fin, je le prouve servant la grandeur sans qu’aucun autre point fût ajouté ou créé à la place du premier, sans qu’aucune grandeur fut, à nouveau, concluant ; or la conclusion est fausse, car nulle grandeur ne peut devenir plus grande par cela seul qu’on lui a enlevé quelque chose. Il ne faut donc pas s’imaginer que le point empêche la grandeur de s’étendre plus loin et que, s’il n’y mettait obstacle, elle prolongerait ses parties dans le monde entier ; comme la bonde qui ferme l’orifice percé dans un tonneau empêche le vin de se répandre dans toute la maison.