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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

ne sont des êtres que dans l’esprit. Ils ne sont hors de l’esprit qu’à titre d’êtres composés d’affirmation et de négation. »

À l’appui de cette doctrine, Auriol cite[1] ce texte d’Averroès[2] : « Le temps se compose de passé et de futur ; mais le passé a déjà cessé d’être ; le futur, au contraire, n’existe pas encore ; le temps se compose d’être et de non-être…

» Il en est de même du mouvement ; aucune partie du mouvement n’est en acte ; quelque partie que l’on désigne, elle est déjà loin ; il est donc, lui aussi, composé de ce qui a déjà cessé d’être et de ce qui n’est pas encore.

» De telles choses ne possèdent pas une existence complète ; c’est de notre esprit que ces choses reçoivent une existence complète ; notre esprit, en effet, en conçoit toutes les parties, et il les pose dans l’existence, en même temps qu’il conçoit l’indivisible qui, lui, existe dans la réalité. »

À côté de ce texte d’Averroès, Auriol aurait pu citer maint passage du onzième livre des Confessions de Saint Augustin, car la pensée de l’Évêque d’Hippone l’inspire au moins autant que celle du Commentateur.

Le temps prend son existence en l’âme lorsqu’elle conçoit le mouvement et qu’elle distingue, entre les diverses parties de ce mouvement, une succession continue. La considération de mouvements différents va-t-elle donc donner naissance à des temps différents ? Nullement.

« Chaque mouvement[3] ne va pas servir de fondement à un temps d’une nature particulière ; lors même qu’il y aurait une infinité de mouvements, ils ne serviraient de fondement qu’à un temps unique ; la raison en est que, même sur des mouvements en nombre infini, s’il y en avait une infinité, l’esprit peut fonder une notion (ratio) unique du temps ; aussi mesure-t-il tous les changements instantanés (mutata esse) par le même instant présent (nunc), tous les mouvements par un même passé et par un même futur. »

« Notre esprit, en effet, attribue un même instant présent, un même passé, un même futur à tous les mouvements qu’il conçoit simultanément. »

  1. Pierre Auriol, loc. cit., p. 38, col. b et p. 39, col. a.
  2. Averrois Cordubensis In Aristotelis physicorum libros commenterarii, lib. IV, comm. 88.
  3. Petri Aureoli Quæst. cit., art. IV : Utrum tempus sit passio primi motus, p. 41, col. b.