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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

la mesure ; le temps devenu quantité déterminée[1], le temps mesuré, est un composé de grandeur continue et de grandeur discontinue, arithmétique, de nombre. Il en est de même, d’ailleurs, des grandeurs permanentes : une ligne, prise en elle-même, est purement continue ; mais dans une ligne mesurée, dans une ligne de trois pieds, est impliqué le nombre trois, qui est une grandeur discontinue. Ce qu’on vient de dire d’une ligne prise en elle-même et d’une ligne de trois pieds, on peut le répéter d’un temps considéré en lui-même et d’une durée de trois jours.

Avec raison, Pierre Auriol attache une grande importance à cette discussion ; il ne veut pas que l’on confonde le temps, succession purement continue et sans parties, avec le temps mesuré, découpé en un certain nombre de durées partielles ; il ne veut pas qu’on dise du premier ce qui n’est vrai que du second ou inversement.

Le temps, cette succession continue, n’a pas d’existence hors de notre esprit[2] ; cela est bien évident ; le temps, en effet, se compose de passé, de présent, de futur ; hors de notre esprit, le passé n’est plus, le futur n’est pas encore, et du présent, qu’existe-t-il hors de l’âme ? Rien que l’instant présent, le nunc ; mais un instant n’est ni un temps ni une partie de temps.

» Le temps[3] consiste en quelque chose qui est hors de notre esprit et en quelque chose qui, hors de notre esprit, n’existe pas. En effet, que notre intelligence les considère ou ne les considère hors de 1’âme. Au contraire, le passé et le futur entre lesquels cet si notre âme ne les conçoit. Si donc on appelle être qui existe hors de l’esprit une chose à qui appartient en soi une certaine nature (ratio) positive, le temps et le mouvement ne sont des êtres que dans l’esprit. Les parties du temps, si on les prend toutes ensemble, n’ont pas de nature positive, si ce n’est dans notre esprit qui prend ces parties toutes ensemble, les conçoit toutes comme en acte, et, de cette conception, conclut la succession qui les relie, distingue celle qui vient avant et celle qui vient après. Si l’on entend de cette manière l’être extérieur à l’esprit, celui que 1’on nomme être positif, on doit dire que le temps et le mouvement

  1. Pierre Auriol, loc. cit., p. 35, col. a.
  2. Petri Aureoli Quæst. cit., Art. II. Utrum tempus secundum suum formale sit ens in anima vel extra animam ; pp. 37-38.
  3. Pierre Auriol, loc. cit., p. 38, col. b.