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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

Invoquera-t-on cette raison : « Là où il n’y a pas de mesure, il n’y a pas, non plus, d’objet mesuré » ?

Duns Scot admet que cette proposition est valable lorsqu’il s’agit d’une mesure essentielle, lorsque l’existence de l’objet mesuré dépend de l’existence même de la mesure, lorsque celle-ci est le principe ou l’élément qui sert à composer celui-là. « Mais cettle proposition n’est pas vraie de la mesure accidentelle, qui mesure par application ou coextension, à la façon dont l’aune mesure une pièce d’étoffe ; il est évident, en effet, que la longueur de la pièce d’étoffe ne dépend pas de la longueur de l’aune ; or c’est de cette manière seulement que le premier mouvement, pris selon son extension successive, et considéré, comme ayant une relation de mesure à l’égard des autres mouvements, mesure ces mouvements ; il en est la mesure par application ou coextension, et non comme le terme d’une dépende qui leur serait essentielle. »

Il n’est donc pas vrai que l’arrêt du mouvement du Ciel entraînerait l’arrêt de tous les autres mouvements.

« En faveur de cette réponse, on peut invoquer ce passage du livre de Josué, où il est dit que Josué combattit alors que le Soleil, la Lune s’étaient arrêtés ; et, par conséquent, alors que le Ciel tout entier s’était arrêté, de crainte que l’arrêt du Soleil et de la Lune, accompagné du mouvement de tous les autres mobiles célestes, n’entraînât une trop grande irrégularité dans le mouvement de ces corps célestes.

» Saint Augustin dit, au XIe livre de ses Confessions : Tandis que le Soleil était arrêté, la roue du potier tournait. »

Nous saisissons ici, semble-t-il, la pensée qui a suggéré à Duns Scot ses réflexions sur la théorie du temps. C’est l’exemple de saint Augustin qui l’a poussé à rejeter la théorie péripatéticienne du temps, dont le miracle de Josué manifestait si clairement la fausseté.

Toutefois, le Docteur Subtil n’a pas suivi jusqu’au bout la voie où l’entraînait l’Évêque d’Hippone ; il n’a pas été jusqu’à dénier au temps toute existence hors de notre esprit ; dans les choses, il a mis le temps potentiel.

De cette opinion intermédiaire entre celle d’Aristote et celle de saint Augustin, les condamnations portées en 1277 nous donnent peut-être la raison.

Étienne Tempier, en effet, avait condamné cette erreur :

« 156[79]. — Si le Ciel s’arrêtait, le feu n’aurait plus d’action sur l’étoupe, car le temps lui-même n’existerait pas. — Si cælum