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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

dans ce temps, on imagine deux instants quelconques, entre ces deux instants pourrait être compris un écoulement de telle grandeur ou un mouvement de telle grandeur ; puis donc qu’on appelle temps la mesure d’un écoulement ou d’un mouvement, cette existence invariable aura un temps ; ce ne sera pas, il est vrai, un temps actuel et positif, mais un temps potentiel et privatif. Ainsi l’intelligence, qui a la notion du temps potentiel et privatif[1], peut appliquer cettye notion à cette durée immuable, peut en connaître la grandeur ; en d’autres termes, l’intelligence peut savoir que cette durée aurait, d’une manière positive, telle grandeur s’il existait un temps positif. — Nullo motu existente, potest esse quies aliqua et proprie accepta ; quia, nullo corpore moto, posset aliquod corpus uniformiter se habere et, cum hoc, esse aptum natum aliter et aliter se habere… Huic etiam uniformi dispositioni correspondet propria mensura quæ est tempus, inter cujus quæcunque dua instantia imaginata posset tantus fluxus sive motus intercipi ; et ita, si tempus dicitur mensura motus sive fluxus, illa uniformis existentia habebit tempus, licet non uniformiter actuale positivum, sed potentiale et privativum ; unde intellectus, habens notitiam temporis potentialis et privativi, applicando eam ad istam durationem uniformem, potest cognoscere quantitatem ipsius, scilicet quod tantam haberet positive, si esset tempus positivum. »

Cette hypothèse d’un temps potentiel, qui existe et est connu distinctement par l’esprit indépendamment du mouvement de tout corps, qui permet à l’esprit de mesurer la durée de tout mouvement comme de tout repos, et avec lequel s’accorde le temps marqué par le mouvement diurne lorsque le mouvement diurne a lieu, cette hypothèse, quel motif pousse Duns Scot à la concevoir et à la formuler ? L’exemple même du miracle de Josué, choisi par le Docteur Subtil nous le laisse aisément deviner.

Pour la Physique péripatéticienne, le temps était inhérent au mouvement diurne ; si le mouvement diurne n’existait pas, il n’y aurait pas de temps. De là, les Averroïstes tiraient cette conclusion : Si le mouvement diurne venait à s’arrêter, il faudrait que tous les autres mouvements, que tous les autres changements s’arrêtassent également, car il n’y aurait plus de temps pour en mesurer la durée. Nous avons entendu[2] Robert l’Anglais, dans son commentaire à la Sphère de Joannes de Sacro-Bosco déclarer que

  1. Le texte dit : Actuel et positif.
  2. Voir : Seconde partie, t. III, ch. V, § VIII, pp. 291-298.