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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

VII
Le temps selon Jean de Duns Scot


Les discussions mémorables dont la théorie du lieu et la théorie mouvement ont été l’occasion, au cours du xvie siècle, ont eu pour point de départ la décision d’Étienne Tempier ; elles ont été inaugurées par Jean de Duns Scot qui a osé affirmer cette proposition : Lors même qu’il n’existerait aucun terme immobile, un corps pourrait encore se mouvoir de mouvement local. Ainsi 1’immobilité de la Terre cessait d’être ce postulat essentiel, sans lequel, au gré de la Physique péripatéticienne, tout mouvement local serait inconcevable.

À cette affirmation, nous allons entendre Duns Scot en adjoindre une autre qui n’est pas moins contraire à toute la Physique du Stagirite[1] : Lors même que le Ciel s’arrêterait, le temps continuerait d’être et de mesurer les mouvements des autres corps. Il y a plus ; lors même que tout mouvement cesserait, le temps existerait encore et mesurerait le repos universel. Il existe, en effet, un temps potentiel ; si le Ciel se meut d’une manière actuelle, ce temps potentiel coïncide avec le temps actuel et positif qui mesure le mouvement du Ciel ; si le Ciel est immobile, ce temps potentiel continue d’exister ; il est alors le temps qui mesurerait le mouvement du Ciel si le Ciel se mouvait ; ce temps, nous le connaissons immobile, nous pourrions, à l’aide de ce temps potentiel, mesurer la durée du repos du Ciel. Telle est la doctrine que le Docteur Subtil formule dans les termes suivants :

« Le Ciel étant arrêté, Pierre pourra, après la résurrection, se promener ; et cette promenade sera conçue comme existant dans ce temps continu qui nous est habituel, et non point en quelque autre sorte de temps. De même, si le premier mouvement du Ciel n’existait pas, le repos même qu’a le Ciel par la cessation de ce mouvement serait mesuré potentiellement par ce temps, qui mesurerait le premier mouvement si ce mouvement existait d’une manière positive et actuelle ; par ce même temps potentiel peut être mesuré tout autre mouvement qui existerait alors d’une manière actuelle ; ainsi donc le mouvement mesuré de la sorte ne

  1. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, lib. II, dist. II, quæst. XI : Dico ergo ad quæstionem…