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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

il se comporterait d’une manière variable par rapport à un tel objet s’il en existait un. En effet, se mouvoir c’est, de l’avis de tout le monde, se comporter diversement d’un instant à l’autre ; se mouvoir d’une manière actuelle, c’est se comporter ainsi, d’une manière variable et actuelle ; une simple variation conditionnelle ne suffirait pas à ce mouvement en acte. « Vous direz peut-être qu’en ce cas, le Monde isolé se comporte tantôt d’une façon et tantôt d’une autre d’une manière conditionnelle et non point d une manière actuelle ; je dis qu’alors le Monde se mouvrait seulement d’un mouvement conditionnel et non d’un mouvement actuel ; c’est contraire à notre supposition. — Sed dices quod sofas mundus, in isto casu, se habet aliter et aliler conditionaliter, et non actualiler ; dico tunc quod mundus movetur solum conditionaliter, et non actualiter, quod est contra casum. »

Le mouvement de nouvelle catégorie qui correspond aux « cas divins » requiert donc l’intervention d’une certaine réalité purement successive. Devons-nous admettre également l’existence d’un tel fluxus formæ dans le mouvement local proprement dit, qui est de même espèce que le mouvement précédent et pour lequel, jusqu’ici, cette existence nous avait semblé n’être point requise ? Assurément oui. « Dieu, en effet, pourrait anéantir tous les corps, saut un certain mobile, et il pourrait mouvoir ce mobile d’un mouvement tout semblable comme espèce au mouvement qu’il possédait auparavant, sans produire aucune réalité qui ne préexistât pas ou qui ne fût semblable à une réalité préexistant au sein du mobile. Or, cela serait impossible si, après anéantissement de tous les autres corps, ce mobile se mouvait par suite de l’intervention d’un certain flux, tandis qu’auparavant il se mouvait sans que ce flux existât. » Tout ce raisonnement d’Albert de Saxe n’est, on le voit, que l’argumentation de Buridan, ordonnée et complétée.

Dans l’exposé d Albert, et par les titres mêmes qu’il a attribués à ses questions, il est un point qui brille d’une lumière bien plus vive que celle dont il avait été éclairé jusque-là, et c’est celui-ci : Si les Scotistes, si, après les Scotistes, Jean Buridan et Albert de Saxe reprennent la théorie du mouvement de Damascius et de Simplicius pour l’opposer à la théorie d’Aristote et d’Averroès, c’est uniquement parce que les décisions dogmatiques de l’autorité ecclésiastique les y contraignent, c’est parce qu’ils veulent admettre les « cas divins ».

Or un jour viendra où certains de ces « cas divins » deviendront des cas scientifiques, où Newton enseignera, comme l’avait fait