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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de Jean le Chanoine, de Guillaume d’Ockam et de Grégoire de Rimini.

En ce débat, quel est le parti embrassé par Albert de Saxe ? Le voici :

Si l’on s’en tient au cas examiné par Aristote et par Averroès, c’est-à-dire au cas où le corps mobile dont on étudie le mouvement local possède un lieu immobile, ces deux réalités permanentes que l’on nomme le mobile et le lieu suffisent à la constitution du mouvement local ; il est parfaitement inutile d’y surajouter une réalité purement successive, un flux ; ce fluxus mobilis serait oiseux comme il l’est en l’explication du mouvement d’altération.

Il serait encore oiseux de recourir à une telle forme successive dans le cas où le mobile — telle la huitième sphère — n’aurait pas de lieu immobile, mais où ses diverses parties en posséderaient un.

Mais on peut imaginer des cas où un mouvement se produirait, bien que ni le corps mobile ni ses diverses parties ne fussent doués d’aucun lieu immobile. Ces cas, il est vrai, ne sont point réalisés dans la nature, mais ils n’excèdent pas la toute-puissance de Dieu ; tel est le cas visé par un article condamné à Paris en 1277 ; tel est encore le cas imaginé par le Docteur Subtil.

« On peut supposer que le Monde devienne un tout homogène et que, cela fait, Dieu fasse tourner ce Monde entier d’orient en occident ; on peut encore supposer que Dieu imprime au Monde entier un mouvement rectiligne. Dès lors, le Monde se mouvrait, et ce ne pourrait être que de mouvement local. D’ailleurs, de quelque mouvement qu’il se mût, il faudrait qu’il se comportât diversement d’un instant à l’autre. Or, il ne pourrait se comporter d’une manière changeante par rapport à quelque objet extrinsèque ; cela va de soi, puisqu’un tel objet n existe pas. Il se comporterait donc d’une manière variable d’instant en instant par rapport à quelque chose d intrinsèque, de manière à posséder à chaque instant quelque chose qu’il ne possédait pas auparavant. Cette conséquence ne se pourrait sauver si nous ne supposions quelque flux inhérent au mobile, qui représente ce qu’il acquiert de nouveau, ce par quoi il se comporte à chaque instant autrement qu’il ne se comportait à l’instant précédent. »

Albert fait remarquer, en premier lieu, que ni Aristote ni Averroès n’eussent admis la possibilité des mouvements qui viennent d’être définis ; ils n’eussent pas admis que le Monde, transformé en un tout homogène, pût continuer à tourner d’orient en occident ; ils n’eussent pas admis qu’on pût imprimer au Monde un