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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

Parmi les disciples de Buridan, nul n’a, plus exactement qu’Albert de Saxe, suivi les doctrines que le maître avait professées touchant le lieu et le mouvement local ; au Chapitre précédent, nous avons exposé ce qu’Albert de Saxe pense de la nature et de l’immobilité du lieu ; l’analogie qui existe entre les pensées du maître saxon et celles du philosophe de Béthune apparaît à la première lecture.

L’opinion d Albertutius n’est pas moins exactement conforme à celle de Buridan touchant l’essence même du mouvement local ; le disciple se borne à donner une forme plus systématique, plus scolaire, pourrait-on dire, mais, par là même, moins vivante à l’argumentation du maître.

La première question qu’Albert examine est la suivante[1] ; Le mouvement d’altération consiste-t-il en une qualité distincte de la qualité qui est acquise ou perdue, et du sujet qui acquiert ou perd cette qualité ?

« Le mouvement d’altération, répond Albert, ne requiert aucunement un flux distinct de la qualité qui est acquise ou perdue ; … or, c’est œuvre vaine d’expliquer un effet par un plus grand nombre de causes lorsqu’un nombre moindre de causes suffit à cet objet ; … il n’est donc point nécessaire d’imaginer qu’un tel flux soit surajouté à la qualité qui est acquise et au sujet altérable. »

Après avoir formulé cette conclusion au sujet du mouvement d’altération, Albert de Saxe aborde l’étude du mouvement local[2].

Il rappelle, d’abord, que trois théories sont en présence : « Au sujet de cette question, certains ont tenu… qu’un corps ne pouvait se mouvoir localement sans un certain flux distinct, à la fois, du mobile et du lieu ; certains, au contraire, tiennent que ce mouvement peut exister sans un tel flux ; et parmi ceux-ci, les uns prétendent qu’il suffit, pour qu’un corps se meuve, qu’il se comporte diversement d’un instant à l’autre par rapport à quelque autre corps ; les autres déclarent que pour qu’un corps se meuve localement, il faut et il suffit qu’à chaque instant, le mobile se trouve en un lieu différent de celui qu’il occupait auparavant. » Les trois théories visées par Albert de Saxe sont, on le voit, celles

  1. Alberti de Saxonia Quæstiones in libros de physica auscultatione ; in lib. III quæst. V : Utrum motus alterationis sit res distincta a qualitate quæ acquiritur et a qualitate quæ deperditur, et ab alterabili cui talis qualitas acquiritur vel deperditur.
  2. Albert de Saxe Op. laud., in lib. III, quœst. VI : Utrum secundum Aristotelem et ejus Commentatorem ad hoc quod aliquid moveatur localiter requiratur aliqua res quæ sit quidam fluxus distinctus a mobili et a loco.