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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

VI
Le mouvement selon Jean Buridan et ses disciples


Pour choisir entre les trois doctrines que nous venons d’énumérer, s’il n’en est qu’une de vraie ; pour prendre en chacune d’elles la part de vérité qu’elle renferme, si elles en ont reçu chacune une part, il faut un examen précis ; cet examen, Jean Buridan y va procéder. Lorsque nous avons exposé l’enseignement du philosophe de Béthume au sujet du lieu, nous avons déjà cité quelques-unes des parties de cet examen ; il nous faudra les reprendre ici et leur rendre la place qu’elles occupaient, afin que la doctrine nous apparaisse en toute sa solide intégrité.

Buridan consacre une de ses questions sur la Physique[1] à répondre à cette interrogation : « Le mouvement local est-il une chose distincte du lieu et du corps qui se meut localement ? »

« Au sujet de cette question, dit-il, les philosophes plus anciens que nous n’ont éprouvé aucun doute ; d’un commun accord, ils ont concédé que le mouvement local était chose distincte du mobile et du lieu. Mais voici que les modernes, venus après ceux-ci, ont admis, pour les raisons susdites, que le mouvement n’est pas une chose autre que le mobile.

» Pour examiner cette question, il faut poser, tout d’abord la définition du nom (quid nominis), car, sans cela, il ne peut y avoir de discussion.

» Tout le monde, donc, accorde que le mouvement local est un certain changement et que se mouvoir, c’est changer. Mais Aristote dit au Ve livre et, d’ailleurs, il est évident de soi, que changer, c’est se comporter de manière différente avant et après (aliter et aliter se habere prius et posterius)

» Maintenant, je pose mes conclusions.

» La première conclusion est celle-ci : La sphère ultime peut, sans aucun lieu, se mouvoir du mouvement dont elle se meut, Cette conclusion se prouve ainsi : Si la puissance divine faisait que la sphère suprême et les autres corps composassent une masse continue, de telle façon que le monde entier ne fût plus qu’un

  1. Johannis Bubidani Questiones super octo phisicorum libros Aristotelis ; lib. III, quæst. VII ; Utrum motus localis est res distincta a loco et ab eo quod localiter movetur ; fol. l et fol. li, col. a.