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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

inversement (supponit mutualiter pro illa oratione : quando aliquid mutatur). Nous dirons alors qu’au pied de la lettre, cette expression, qu’elle soit mentale ou vocale, est un être ; mais si on la prenait pour ce qu’elle signifie (si autem accipietur significative), alors, elle ne serait plus un être.

» À un autre point de vue, je dis que tantôt, le mouvement implique (importat) des choses permanentes présentes par elles-mêmes, comme il arrive dans le mouvement local ; tantôt, il implique conjointement des choses permanentes présentes et des choses permanentes futures, comme on le voit dans le mouvement d’altération ou il y a gain d’une qualité et dans le mouvement de dilatation ; tantôt il implique, à la fois, des choses permanentes présentes et des choses permanentes passées, comme le montre le mouvement d’altération où il y a perte d’une qualité et le mouvement de contraction.

» D’après cela, je dis que mouvement est, parfois, mis à la place (supponit) du mobile en train d’acquérir le terme vers lequel il se meut, comme il arrive dans le mouvement local ; parfois, il tient la place d’un composé, d’un agrégat formé de choses présentes et de choses futures, comme il arrive dans le mouvement d’altérations où il y a gain d’une qualité et dans le mouvement de dilatation, etc. »

Guillaume d’Ockam vient d’user du procédé de discussion qui lui est cher et qu’il manie avec tant de puissance et de dextérité ; ce nom : mouvement, fabriqué à partir du verbe : mouvoir, il l’analyse, il le dissèque, il montre qu’il ne recouvre pas une chose, mais bien un ensemble plus ou moins complexe de notions qui peuvent, d’ailleurs, ne pas être toujours de même nature ; il fait évanouir les questions qu’on lui pose ; il lui suffit pour cela de substituer la définition au défini.

Citons encore la réponse qu’il fait à cette question[1] : « Faut-il au pied de la lettre, tenir cette proposition pour vraie : Le mouvement local, c’est le mobile acquérant successivement l’espace ? »

« Touchant cette question, je dis tout d’abord qu’il ne faut pas, pour le mouvement local, répondre de la même façon que pour les autres mouvements ; dans les autres mouvements, une certaine chose permanente est engendrée ou détruite ; mais dans le mouvement local, toutes les choses acquises par le mouvement existent d’avance ; l’espace, en effet, préexiste aussi bien que le mobile,

  1. Guglelmi de Okam Op. laud., quæst. XXII : Utrum hec sit concedenda de virtute sermonis : motus localise est mobile acquirens spatium. Ms. cit., fol. 6, coll. a et b.