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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

de mouvement local et qu’il est présent à un certain lieu, de telle manière qu’entre ce lieu et lui, il n’y ait rien d’interposé, on dit qu’il est quelque part où il n’était pas auparavant. Direz-vous qu’en tout mouvement, quelque chose est acquis ou perdu par le mobile ? Je réponds par une négation ; il suffit qu’un lieu soit acquis ou perdu, et ce lieu ne réside pas dans le corps logé comme dans un sujet. C’est là un caractère spécial au mouvement local. Direz-vous qu’un lieu ne peut être acquis par un corps sans qu’il confère une certaine forme à ce corps ? Je nie cette affirmation. Un corps acquiert un lieu, cela signifie simplement qu’il arrive, par suite du mouvement local, qu’il n’y ait rien d’interposé entre ce lieu et ce corps logé. Parfois, d’ailleurs, il peut y avoir mouvement local sans qu’il y ait acquisition de quoi que ce soit qui confère ou ne confère pas une forme ; ceci seul suffit : S’il y avait quelque corps environnant, un lieu serait acquis. Nous en avons un exemple dans la sphère ultime ; par son mouvement local, elle n’acquiert rien du tout ; toutefois, s’il y avait autour de cette sphère quelque lieu immobile, elle acquerrait un lieu ; mais, en fait, elle n’acquiert à nouveau aucun lieu, et, cependant, on la dit mue de mouvement local. »

Toute cette doctrine se retrouve, singulièrement nette et précise, dans les Questions sur le livre des Physiques. Écoutons par exemple la réponse d’Ockam à cette question[1] : Est-ce que le mouvement est un être ?

« À cette question, on peut faire une réponse semblable à celle qui a été faite précédemment à propos du changement. Ce nom ; mouvement ne signifie pas une chose d’une manière absolue, comme le nom : homme ou le nom âne ; ce n’est pas de la même manière qu’il a une signification. On l’emploie dans les propositions tantôt pour cause de brièveté, tantôt en vue de l’élégance du langage. Ainsi ce nom : mouvement équivaut à cette combinaison de mots : quand une chose se meut, et le mot est équivaut à un autre verbe. Exemple : Cette proposition : Le mouvement est dans le temps, équivaut à celle-ci : Quand une chose se meut, elle n’acquiert ou ne perd pas tout à la fois, mais l’un après l’autre.

» Par là nous répondrons à la question. Lorsque on demande si, au pied de la lettre, le mouvement est un être, il faut supposer que : mouvement équivaut à cette expression composée : quand quelque chose se meut, qu’il tient la place de cette expression et

  1. Questiones magistri Guglelmi de Okam super librum phisicorum ; quæst. XX : Utrum hec sit concedenda de virtute sermonis : Motus est ens. Bibliothèque Nationale, fonds latin, douv. acq., ms. no 1139 fol. 5. col. d.