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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

que le lieu dépose en ce corps. Pour qu’un corps soit en un lieu, il suffit que le lieu soit, que le corps soit, et qu’il n’y ait rien d’intermédiaire entre le lieu et le corps. C’est donc en vain qu’on supposerait l’existence d’une telle chose déposée dans le lieu par le corps logé.

» D’après ce qui précède, il est évident que lorsqu’un corps se meut d’un mouvement rectiligne ou mêlé de rectiligne et de circulaire, un lieu est acquis à chaque instant, lieu distinct de celui que le mobile occupait auparavant.

» Lorsqu’un corps se meut d’un mouvement de rotation, il demeure constamment au même lieu ; mais, à chaque instant, une partie différente du lieu correspond à une même partie du mobile et inversement ; par conséquent, le mobile, pris en totalité, demeure toujours au même lieu, en sorte que ce mobile, pris en totalité, n’acquiert rien de nouveau ; mais chacune des parties acquiert constamment un lieu nouveau, différent du lieu qu’elle occupait auparavant.

» Quant au mobile suprême, il n’est contenu par aucun autre corps ; lors donc qu’il se meut, ni sa totalité ni ses diverses parties n’acquièrent rien de nouveau. Toutefois, il acquerrait quelque chose de nouveau s’il existait un corps dont il fût entouré ; en outre, ses diverses parties regardent d’une manière qui change d’un instant à l’autre certains corps qui demeurent immobiles en leur lieu ; leur distance à ces corps augmente ou diminue ; il se meut donc vraiment de mouvement local, et cela non parce qu’il acquiert quelque chose de nouveau, mais parce qu’entre ses diverses parties et d’autres corps immobiles, il y a une distance qui change d’un instant à l’autre.

» À cela, on pourrait faire cette objection : En toute altération, il faut qu’une certaine qualité soit acquise ou perdue ; de même, en tout mouvement local, il faut qu’un certain lieu soit acquis ou perdu. Je répondrai qu’il n’y a pas similitude entre ces deux cas. Rien, en effet, n’est altérable que ce qui peut recevoir ou perdre une certaine qualité ; mais il existe un corps qui est mobile, bien qu’il ne puisse être en un lieu, en prenant le mot lieu au sens propre ; ce corps peut seulement servir de lieu à d’autres corps et, d’instant en instant, ce lieu regarde de manière différente les corps qu’il loge, en sorte qu’il se meut vraiment de mouvement local. »

Selon la doctrine d’Ockam, donc, le mobile qui se meut de mouvement local n’acquiert d’instant en instant aucune réalité nouvelle ; c’est, dans la philosophie du célèbre nominaliste, un