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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Lors donc qu’entre l’enseignement de Durand et l’enseignement d’Ockam nous reconnaîtrons d’évidentes analogies, nous serons portes à voir, en celui-ci, l’initiateur et, en celui-là, l’imitateur.

De telles analogies se montrent, très apparentes, en la question qui nous occupe.

« Certains pensent, dit-il[1], que le point est une chose positive et indivisible qui termine réellement la ligne, sans appartenir à lessence de la ligne.

» Mais cela ne peut être vrai, car en dehors de tout terme extrinsèque, il faut admettre que la ligne est, de soi, finie ; en effet, si la ligne était, de soi, infinie, un terme extrinsèque ne lui imposerait pas la finitude. En outre, si le point était un terme extrinsèque, une fois ce point exclu, la ligne, prise en elle-même, demeurerait aussi longue qu’auparavant ; elle ne serait ni plus grande ni moindre. Que fait donc à la finitude de la ligne que le point soit un terme extrinsèque ? On ne voit pas qu’en vue de la finitude de la ligne, il faille admettre un semblable terme ; c’est même chose qui nous demeure entièrement cachée ; il est ridicule, en effet, d’imaginer que la ligne se prolongerait à l’infini dans les deux sens si ces points qui terminent la ligne n’existaient pas. Tout ce qui est fini, est fini par soi-même ou par quelque chose qui lui est intrinsèque… Il ne faut donc aucunement croire que le point soit une certaine nature positive et indivisible qui termine la ligne ; la ligne est terminée par elle-même, en ce qu’elle a telle étendue et pas davantage ; en sorte que la terminaison de la ligne implique la privation d’une continuation ultérieure ; et comme la privation de continuation et de divisibilité semble jouer le rôle de quelque chose d’indivisible, nous nous imaginons que le point est quelque chose d’indivisible, alors qu’aucun indivisible positif n’est intrinsèque à la ligne ni adjoint à cette ligne.

» De même que le point est dit terme de la ligne, de même la ligne est dite terme de la surface et la surface terme du corps ; alors, en un corps, il faudrait imaginer une surface indivisible en profondeur qui différerait réellement du corps, et qui l’envelopperait à titre de terme extrinsèque ; c’est absurde.

» Tenons donc pour certain que la ligne ne se comporte point à l’égard du point comme une chose divisible à l’égard d’une chose positive indivisible, mais simplement comme à l’égard d’une privation de continuation ultérieure ; aussi dit-on que la ligne est

  1. Durandi a Sancto Portiano Super sententias theologicas Petri Lombardi Commentarii ; Lib. II, Dist. II, quœst. IV, art. II.