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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

qu’auparavant, la matière n’avait pas cette forme, il n’est pas, non plus, nécessaire de poser une réalité autre que la matière et la forme. Il n’existe donc pas, outre les réalités permanentes, une chose différente qui serait le changement brusque. »

« Cela vu au sujet du changement brusque, poursuit notre auteur[1], nous allons prouver qu’aucun mouvement n’est une certaine chose distincte, en sa totalité, des réalités permanentes.

» Nous le montrons d’abord, en général. En effet, si le changement brusque (mutatio) ne désigne pas une certaine chose distincte, en sa totalité, de toutes les réalités permanentes, il en résulte que le mouvement, pour la même raison, ne désigne pas non plus une telle chose ; car il n’y a pas plus de raison pour que cela soit vrai du changement brusque que du mouvement…

» Cette même conclusion se peut montrer d’une manière spéciale. » Et Ockam de passer successivement en revue le mouvement local, le mouvement d’altération, le mouvement de dilatation, et de prouver par multiples arguments qu’aucun d’eux n’est une réalité successive surajoutée aux réalités permanentes.

De cette longue discussion, citons seulement ce passage[2] qui caractérise si bien la méthode suivie par notre auteur :

« Lorsqu’on dit : Les paroles n’existent pas simultanément, on prétendra peut-être que cette non-simultanéité (non-simultaneitas) des parties est quelque chose. Nous répondrons que cette fabrication de noms à l’aide d’adverbes et d’autres termes syncatégoriques engendre une multitude de difficultés et induit beaucoup de gens en erreur. Bien des personnes s’imaginent, en effet, que, de même qu’il existe des noms distincts, il existe des choses distinctes qui leur correspondent ; de telle manière qu’il y ait distinction entre les choses signifiées comme il y a distinction entre les noms qui les signifient. Mais cela n’est pas exact ; parfois les choses signifiées sont les mêmes alors qu’il y a diversité dans la façon de les exprimer. Ainsi donc, la non-simultanéité n’est pas une réalité différente des choses qui peuvent exister en même temps ; mais elle signifie que ces choses n’existent pas en même temps.

» En ces temps modernes, à cause des erreurs qui sont issues de l’usage des termes abstraits, il vaudrait mieux, en faveur des simples, ne point se servir de termes abstraits ; il vaudrait mieux s’exprimer au moyen de verbes et d’autres termes syncatégoriques

  1. Guillaume d’Ockam, loc. cit., ms. cit., fol. 132, col. b.
  2. Guillaume d’Ockam, loc. cit., ms. cit., fol. 132, col. d.