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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

Ce problème, cependant, ses prédécesseurs immédiats et ses contemporains avaient tenté de le résoudre ; quelles étaient les solutions proposées, c’est ce que nous verrons bientôt.


V
Le mouvement selon Guillaume d’Ockam


La théorie qui fait du mouvement une certaine réalité purement successive et coulante, surajoutée au mobile et à la forme permanente acquise par ce mobile, n’a pas eu d’adversaire plus déterminé ni plus opiniâtre que Guillaume d’Ockam. Celui-ci ne perd, en ses ouvrages, aucune occasion de la combattre et son Traité des choses successives a pour objet propre de la réfuter. Voici, en effet, en quels termes débute ce Traité[1].

« C’est une opinion commune que le mouvement, le temps et le lieu sont certaines choses distinctes du mobile et du corps logé ; aussi faut-il voir quelle fut, à cet égard et, en premier lieu, au sujet du mouvement, l’intention du Philosophe et du Commentateur. »

Guillaume d’Ockam, avant de considérer le mouvement, s’en prend à ce changement subit qu’est la transformation substantielle (mutatio). « Il nous faut prouver d’abord, dit-il[2], que le changement subit n’est pas une certaine chose distincte, en sa totalité du mobile ou de la chose mue, du terme acquis ou perdu, et des autres choses qu’on regarde comme des réalités permanentes. »…

Pour démontrer cette proposition, le Venerabilis Inceptor invoque son principe favori[3] : Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora. Or, « pour sauver le changement, il est inutile d’admettre une chose autre que la matière première, la forme et l’agent, c’est-à-dire autre que les réalités permanentes. Pour que le changement ait lieu, en effet, il suffit que la matière première ait une forme qu’elle n’avait pas auparavant. Mais pour que la matière première ait une certaine forme, il est inutile de supposer autre chose que la matière, la forme [et l’agent] ; cl par ce fait

  1. Tractatus de successivis editus a Guillelmo de Ocham, cap. I ; Bibl. Nat., fonds Latin, ms. no 16130, fol. 131. col, b.
  2. Guillaume d’Ockam, loc. cit.
  3. Guillaume d’Ockam, loc. cit. ; ms. cit., fol. 131, col. b.