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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

les incompatibilités de ces existences, pour ce même mobile mû d’une manière continuelle ; et je ne dis pas, tout court, l’existence passée ou présente ou future, mais l’existence ici ou là, l’existence en tel état ou en tel autre, l’existence accompagnée d’un mode selon lequel on puisse dire d’une chose qu’elle se meut.

« Prenons exemple d’un corps continuellement mû de mouvement local. Un tel corps a été quelque part où il n’est plus ; il est quelque part où il n’était pas immédiatement auparavant ; immédiatement après, il sera quelque part où il n’est pas… Lors donc qu’on dit du temps qu’il se divise en passé et avenir, voici quel est le véritable sens de ces mots : Le mobile, mû de ce mouvement continuel à l’aide duquel, comme nous l’avons expliqué, nous mesurons les longueurs (moras) des mouvements, a été quelque part où il n’est plus, et, aussitôt après, il sera là où il n’est pas. »

De même peut-on définir avec précision le sens du mot instant :

« Lorsqu’on dit qu’une chose se fait en un instant, on n’entend pas que cette chose se fait dans une autre chose, quelle que soit d’ailleurs celle-ci, qui serait appelée instant… Un tel sens serait par trop stupide… On entend signifier que cela se fait tout entier pendant que le Ciel ou quelque autre corps mû continuellement est en tel ou tel lieu marqué, où il n’était pas immédiatement avant, où il ne sera plus immédiatement après ; de telle sorte que rien de cette chose n’a été fait alors que le mobile n’était pas en ce lieu-là, et que rien, de cette même chose ne commencera de se faire tandis que le mobile sera en un autre lieu… C’est ainsi qu’il faut entendre, si l’on veut la bien comprendre, cette locution usuelle : La production de telle chose a pour mesure un instant, que le mot mesure y soit ou non pris au sens propre.

» De même, on dit qu’une chose a été faite durant un certain temps lorsqu’une partie de cette chose a été faite tandis que le Ciel était en un lieu précédent et qu’une autre partie sera faite tandis que le Ciel sera en un lieu suivant. »

Le temps donc, selon Grégoire de Rimini, c’est toute horloge. Et qu’est-ce qu’une horloge ? Tout corps mû d’une manière continuelle et régulière (corpus continue et regulariter motum), pourvu qu’un tel corps existe et que nous sachions qu’il est mû continuellement et régulièrement (si qua continue et regulariter moverentur, et ea sic moveri nobis notum esset). Mais comment, sans horloge, saurons-nous qu’un corps est mû de mouvement régulier ? Cela, Grégoire de Rimini ne nous le dit pas. Il laisse sans réponse le difficile problème qu’est le choix de l’horloge première.