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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

cessive, il n’est pas nécessaire que toutes les parties de cette réalité existent simultanément, ni qu’une partie quelconque existe simultanément en totalité ; il est seulement exigé que ces parties soient les unes après les autres et qu’il existe, en acte, un certain indivisible établissant la continuité de ces parties les unes avec les autres. »

« Mais la continuation de ces parties [qui ne sont pas en acte] par l’intermédiaire d’un instant qui est en acte est quelque chose d’inintelligible. En effet, ce qui est un pur néant (omnino nihil) ne saurait être soudé ni mis en continuité soit avec quelque chose qui existe soit avec quelque chose qui n’existe pas ; sans quoi, on pourrait former une longue farandole d’hircocerf, de tragélaphes et de chimères ; rien de plus absurde. »

D’ailleurs, Grégoire de Rimini rejette absolument l’existence de l’instant indivisible, comme il a rejeté l’existence du point et de tout autre indivisible ; et cette négation emporte encore la théorie du temps proposée par Jean le Chanoine et par ses partisans.

Quelle est donc leur erreur ? « C’est de vouloir que le mouvement et aussi le temps… soient des réalités véritables à l’existence desquelles notre âme ne fait rien, tandis que le Commentateur déclare que le mouvement et le temps n’ont pas [par eux-mêmes], une existence complète ; leur existence est composée par une action que l’âme exerce sur ce qui, en eux, est chose extérieure à l’âme. »

Grégoire ne suivra donc pas Pierre Auriol ; il n’admettra pas que le temps n’a, hors de l’intelligence, aucune sorte d’existence ; contre cette opinion, il invoquera, comme Jean le Chanoine, l « articulus parisiensis » condamné par Étienne Tempier ; il admettra que la réalité extérieure fournit à notre esprit quelque chose sur quoi cet esprit exerce son action afin de donner l’existence au temps. Que sera-ce donc, à son gré, que le temps ? Il va nous le dire :

« Un corps mû continuellement et régulièrement, c’est cela le temps (corpus continue et regulariter motum est tempus). Cette proposition, je la prouve comme suit : Tout ce qui nous permet de mesurer la longueur (mora) des repos et des mouvements, et aussi la durée des choses, est un temps. Mais un corps mû continuellement et régulièrement nous le permet. Donc il est le temps.

» La majeure est évidente par le commun parler des hommes au sujet du temps. D’une chose qui a un mouvement plus prolongé (diuturnior) qu’une autre, qui se meut plus longuement (diutius), nous disons qu’elle se meut pendant un temps plus grand ; si elle