Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

impossible de ne pas déclarer, avec Duns Scot, que le mouvement local consiste en une certaine forma fluens intrinsèque au mobile.

Aussi Grégoire de Rimini n’hésite-t-il pas à déclarer, tout aussi nettement que l’eût fait Averroès, que de tels mouvements sont impossibles : « Lors même que l’intelligence appliquerait sa vertu motrice au Ciel exactement comme elle la lui applique actuellement, elle ne mettrait pas le Ciel en mouvement local et le Ciel ne se mouvrait point ; il ne serait donc pas exact de dire que cette intelligence meut le Ciel ou que le Ciel se meut de mouvement local. Il serait étrange que quelqu’un pût concevoir le contraire, De même qu’un sujet ne peut éprouver un mouvement selon la qualité [mouvement d’altération] sans acquérir ni perdre aucune qualité, de même il est impossible qu’un corps se meuve selon le lieu sans acquérir aucun lieu, sans en perdre aucun, sans éprouver aucune sorte de changement relatif au lieu. Or, toute acquisition de lieu, tout changement relatif au lieu serait impossible si le Ciel existait seul dans la nature et qu’il n’existât aucun autre corps. »

En effet, c’est bien là, semble-t-il, l’enseignement même du sens commun ; mais au temps de Grégoire de Rimini, les décrets d’Étienne Tempier exigeaient que les maîtres de Paris crussent le contraire ; et, depuis Newton, la Dynamique déclare que d’un Monde sphérique, isolé dans l’espace, on peut décider s’il tourne ou ne tourne pas. C’est ici que se trouve le cœur même du débat sur la nature du mouvement local. Les successeurs de Grégoire de Rimini n’en douteront aucunement ; là porteront les efforts de toutes les argumentations.

Puisque Grégoire rejette la théorie du mouvement qu’avait exposée Jean le Chanoine, il est bien clair qu’il n’adoptera pas la théorie du temps que cet auteur avait construite. En fait, une bonne partie de ce que le Philosophe augustin a écrit au sujet du temps est expressément consacré à réfuter l’opinion du Philosophe scotiste[1].

« Déjà, dit Grégoire, cette opinion a été, je pense, suffisamment réfutée en tant qu’elle regarde le mouvement comme une réalité distincte du mobile et de la chose acquise par ce mobile : …… Pour le moment, donc, je n’insiste pas à l’encontre de ce point ; j’argumente seulement contre ce que cette opinion dit du temps et de l’instant. »

Cette opinion prétend que, « pour l’existence d’une réalité suc-

  1. Gregorii de Arimino Op. laud., lib. II, dist. II, quæst. I, art. I.