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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

distincte de toute réalité permanente, qui serait le mouvement local. »

Ainsi le mouvement d’altération, c’est la qualité même que le sujet acquiert graduellement ; le mouvement local, c’est le lieu dont le mobile s’empare d’une manière transitoire ; c’est encore, selon les expressions diverses dont use Grégoire de Rimini, l’étendue (magnitudo), variable d’un instant à l’autre, que ce mobile vient successivement occuper, l’espace (spatium) qu’il parcourt en son continuel changement de place ; il semble qu’ « en prenant le mot lieu au sens communément reçu », notre auteur le prenne surtout au sens purement géométrique que lui donnait Auriol ; quoi qu’il en soit, il est illusoire d’attribuer le mouvement local à une certaine forme essentiellement successive intrinsèque au mobile.

Devant la théorie qu’il développe, Grégoire de Rimini voit se dresser une objection ; cette objection est fournie par l’argument même que Duns Scot avait invoqué lorsqu’il avait voulu rattacher le mouvement local à une forma fluens intrinsèque au mobile : Un corps peut se mouvoir localement bien qu’il soit dépourvu de tout lieu. Voici comment Grégoire expose cette objection[1] :

« S’il n’y avait, s’il ne pouvait y avoir aucun mouvement local sans qu’un certain volume ou qu’un certain espace fût acquis par le mobile, il en résulterait qu’il serait impossible qu’un corps fût mû localement sans que ce corps acquît un certain espace. Or, cette conséquence est fausse. Il est certain, en effet, que Dieu pourrait anéantir tous les corps du Monde autres que l’orbe de la Lune ; qu’il pourrait, cependant, continuer d’exercer sur l’intelligence qui meut cet orbe une influence identique à celle qu’il exerce actuellement ; que cette intelligence pourrait continuer d’agir sur cet orbe, en vue de lui imprimer un mouvement de rotation, exactement comme elle agit maintenant. Il est certain aussi que Dieu pourrait créer un Ciel unique et plein, anéantir tout autre corps, et faire tourner ce Ciel comme il fait actuellement tourner le premier mobile. Cela posé, il est clair que l’orbe de la Lune ou que ce Ciel plein se mouvrait de mouvement local ; il n’existerait cependant ni volume ni réalité permanente d’aucune sorte qu’il pût acquérir. »

Si l’on admet la réalité de tels mouvements locaux, il semble

  1. Grégoire de Rimini, loc. cit., art. II.