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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

ce prédicament ubi ne désigne nullement une réalité inhérente au sujet, mais une réalité qui lui est extrinsèque, à savoir le lieu. »

Pour attribuer à l’ubi une réalité intrinsèque au corps logé, le Docteur Subtil et ses disciples s’étaient servis de la définition de ce prédicament donnée par Gilbert de la Porrée. Grégoire de Rimini n’hésite pas à récuser cette autorité.

« L’Auteur des Six principes, dit-il, parle, en ce petit livre, d’une manière figurée et fort impropre ; aussi, beaucoup d’auteurs, qui prennent ses paroles au sens propre, sont-ils déçus par elles. Gilbert n’entend nullement affirmer que l’ubi soit une réalité, nommée circonscription, distincte du lieu et du corps logé, et existant en ce dernier… Il veut seulement, par ces paroles, indiquer à quoi est proprement attribué le prédicament ubi. »

Cet ubi, qui n’est pas une réalité distincte du lieu, ne saurait être ce qui s’acquiert dans le mouvement local. À l’appui de cette proposition comme à l’encontre des propositions qui la contredisent, Grégoire de Rimini accumule les arguments :

« Si tout mobile qui se meut d’une manière continue » acquérait constamment un nouvel ubi en perdant l’ubi précédant, comme le prétend Duns Scot, « il se mouvrait à la fois de deux mouvements distincts ; en effet, tout corps qui se meut de mouvement local, qui passe d’un lieu à un autre, acquiert graduellement un lieu nouveau et se meut selon le lieu ; si, en même temps, il acquérait continuellement un nouvel ubi, il se mouvrait également selon l’ubi ; il se mouvrait donc de deux mouvements distincts. »

Que le mouvement local ne puisse avoir pour objet l’acquisition graduelle d’un ubi nouveau, Grégoire de Rimini l’établit encore en invoquant l’autorité de Gilbert de la Porrée : « L’Auteur des Six principes dit que la sphère suprême n’a pas d’ubi, car aucun corps ne la circonscrit ; il n’est donc pas vrai que toute chose qui se meut de mouvement local acquière à chaque instant une réalité telle que serait l’ubi. »

C’est donc le lieu, et non pas l’ubi, qui est la réalité continuellement acquise et perdue au cours du mouvement local ; Grégoire l’affirme comme Auriol l’avait affirmé.

C’est cette réalité permanente, successivement acquise ou perdue, et non pas quelque autre réalité essentiellement successive et coulante, qui, au gré de notre Augustin, constitue le mouvement local lui-même.

« La première conclusion que nous ayons à prouver, dit Gré-