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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

Mineurs n’était pas soumis seulement à l’influence philosophique de Duns Scot ; il l’était aussi à celle de Pierre Auriol ; or, sur la nature du mouvement et, particulièrement, du mouvement local, Auriol professait une opinion directement opposée à celle du Docteur Subtil.

Auriol déclare « que le terme propre du mouvement local est le lieu, d’où ce mouvement lire son nom », et que ce n’est pas l’ubi comme le prétend Duns Scot. Mais à ce mot lieu, il donne ici un sens tout géométrique, essentiellement différent de celui que lui attribue le Péripatétisme. Qu’on en juge par cette citation[1] :

« S’il était possible de poser des dimensions ou quelque autre distance, tout en excluant toute autre grandeur, le corps qui s’avancerait suivant cette distance serait dit mû de mouvement local. C’est ce dont admettent la possibilité ceux qui prétendent que le mouvement se pourrait faire dans le vide. Leur affirmation se tire, en effet, de ceci seulement qu’ils imaginent le vide comme ayant, en l’absence de tout corps ; longueur, largeur et profondeur. L’étendue (magnitudo), donc, en laquelle se fait le mouvement local, n’est point du tout requise pour que le mobile ait, avec elle, une commune mesure, ni pour qu’il lui soit présent, ni pour qu’il la touche ; elle sert uniquement à fournir une longueur ou distance suivant laquelle s’avance le mobile. Mais cette longueur, on ne pourrait la regarder comme permanente, à moins d’admettre l’existence de dimensions séparées qui pénétreraient le mobile ; elle est donc successive. Or, cette distinction successive ou cette succession distincte, ce n’est pas autre chose que le mouvement local. Il est donc manifeste par là que le mouvement local réside immédiatement dans le mobile par une certaine grandeur qui demeure en repos (secundum aliquam magnitudinem quiescentem), et non par quelque communauté de mesure ni par quelque présence ; il y est sous forme d’un cours successif qui est mesuré par cette grandeur (secundum successivum decursum mensuratum per eam). De là vient que la division du mouvement local se fait par la division de la grandeur et que la continuité de la grandeur entraîne la continuité du mouvement local. »

Bien qu’il s’y efforce, Auriol ne parvient évidemment pas à chasser de sa raison la pensée de dimensions séparées, capables d’exister indépendamment de tout corps, de persister dans le vide,

  1. Commentariorum in primum librum Sententiarum Pars Prima. Auctore Petro Aureolo Verberio. Romæ. MDXCVI. Dist. XVII, art. IV, p. 452, col. b, et p. 453, col. a.