Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

continuo) ; cette façon de le prendre, en effet, renferme, à la fois, ce que le temps reçoit de l’âme et ce qu’il possède hors de l’âme. On voit ainsi que le temps existe, d’une certaine façon, hors de l’âme, mais qu’il tient de l’âme son existence complète. »

C’est bien la doctrine de Jean le Chanoine que ces lignes exposent avec une grande clarté.

Grazadei, d’ailleurs, est un esprit fort éclectique ; il ne s’est pas contenté de prendre son inspiration auprès du Chanoine ; les docteurs que celui-ci a combattus, comme Pierre Auriol ou François Bleth, lui suggèrent, eux aussi, diverses pensées.

C’est le désir de concilier Auriol et Jean le Chanoine, qui dicte à Grazadei des propos tels que ceux-ci[1] :

« La nature complète du temps n’exige pas seulement la distinction [en parties] ni seulement la continuité ; elle exige l’une et l’autre, chacune à sa manière.

» Que cette nature requière l’existence d’un certain continu, cela est évident par ce qui précède. Il est de la nature du temps, en effet, de ne pas exprimer un simple concept de notre âme, ou une simple affection de cette âme ; elle doit nécessairement poser hors de l’âme quelque chose à quoi se puisse appliquer l’opération de la mesure ; mais ce que le temps pose hors de l’âme, c’est, nous l’avons dit, un certain continu ; le continu, donc, concourt d’une certaine manière à la nature du temps.

» Que la discontinuité (discretio) y concoure aussi à sa façon, cela se voit sans peine… Nous pouvons dire, en effet, que la mesure immédiate d’une chose quelconque est un nombre ; or le temps est la mesure immédiate du mouvement ; il est donc évidemment de sa nature d’être un nombre ; et comme il est de la nature du nombre de poser une discontinuité, on voit qu’une certaine discontinuité est requise pour la nature parfaite du temps. »

Enfin, c’est de François Bleth que Grazadei s’inspire lorsqu’il écrit[2] :

« Une attention diligente nous montre que la discontinuité appartient d’une manière formelle à la nature du temps… Seule, la position du continu appartient matériellement au temps ; la discontinuité lui appartient plutôt d’une manière formelle. »

Tandis qu’au sujet du mouvement et du temps, l’enseignement du thomiste Grazadei d’Ascoli reproduit presque exactement celui

  1. Gratiadei Op. laud., lect. XXII, quæst. II ; éd. cit., fol. 57, col. b.
  2. Grazadei, loc. cit. ; éd. cit., fol. 57, coll. b et c.