Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

aucune existence simultanée ; il ne peut avoir qu’une continuité successive.

» En second lieu, le mouvement diffère de la forme incomplète qui se troue déjà acquise par ce même mouvement, car il ajoute à cette forme une certaine disposition ordonnée vers le complément [quelle va recevoir] ; pour nous exprimer d’une manière encore plus propre, il ajoute à cette forme incomplète la continuelle réception du complément qui vient ensuite. »

Ces raisons sont celles qui déterminaient Jean le Chanoine à regarder le mouvement comme une forme coulante réellement distincte du mobile et de la forme que ce mobile acquiert par le mouvement ; Grazadei ne va pas jusqu’à admettre la réalité de cette forme coulante ; il n’en prononce même pas le nom ; il est visible, cependant, que sa pensée diffère très peu de celle du Chanoine.

Elle s’en rapproche bien davantage en une autre circonstance.

Parmi les questions que notre dominicain a discutées à l’Université de Padoue se trouve celle-ci[1] : Le temps a-t-il une existence dans la nature ?

Dans ses Questions littérales sur la Physique d’Aristote, l’auteur reprend le même problème sous la forme suivante[2] : Le temps possède-t-il hors de l’âme son existence complète ? Il répète presque textuellement ce qu’il avait dit à ce sujet dans sa quæstio disputata, en y ajoutant, cependant, quelques précisions. Reproduisons cette dernière réponse.

« Le temps, dit Grazadei, existe d’une certaine manière hors de l’âme, mais non pas d’existence complète.

» Pour comprendre cette affirmation, il faut considérer ce que nous avons dit lorsque nous avons déterminé cette question. Le mouvement, dont le temps est la mesure, est un changement qui fait passer le mobile de ce qu’il était avant à ce qu’il est après. Or, dans ce changement, qui est le mouvement, nous pouvons considérer trois choses. En premier lieu, nous pouvons porter notre attention sur la continuité de ce changement, continuité en vertu de laquelle l’écoulement de ce changement n’a point d’arrêt ni d’interruption. En second lieu, nous pouvons porter notre attention sur la séparation établie entre deux parties du mouve-

  1. Questiones fratrie Gratiadei de Esculoper ipsum in florentissimo studio patavino disputate feliciter, Quæst. XII : Utrum tempus habeat aliquod esse in rerum natura. Ed. Venetiis 1503, fol. 121-132.
  2. Preclarissime questiones litterales edite a fratre Gratiadei de Esculano… Lib. IV, lecture. XXI, quæst. I ; éd. cit., fol. 57, col. a.