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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

une passion du mouvement, et aucune passion n’est réellement distincte du sujet qu’elle affecte… Mais le temps est formellement distinct du mouvement, car la passion se distingue formellement de son sujet… Matériellement donc, le temps et le mouvement sont une chose, mais, formellement, ils sont distincts. »

Ce que l’on vient de dire du temps et du mouvement, on le peut, d’ailleurs, répéter de l’instant et de l’état instantané (mutatum esse).

Avec des nuances, nous avons vu tous les disciples de Duns Scot s’accorder, au sujet de la nature du mouvement, en une même proposition : Le mouvement n’est pas une simple série d’états pris, les uns après les autres, par une réalité permanente ; il est une réalité essentiellement successive et coulante,

Cette doctrine séduisait même ceux qui ne s’avouaient pas disciples du Docteur Subtil ; tel le Dominicain Grazadei d’Ascoli, qui se proclame thomiste.

À la vérité, lorsqu’il s’agit de dire si le mouvement diffère réellement de la forme acquise par ce mouvement[1], Grazadei introduit une distinction qui lui permet d’éviter les affirmations trop catégoriques dans un sens ou dans l’autre.

Si par chose (res), on entend une nature qui a un sujet, on ne peut pas dire que la forme acquise soit une chose et que le mouvement par lequel cette forme s’acquiert soit une autre chose ; de cette façon, la forme et le mouvement ne sont pas réellement distincts, car, de cette façon, une manière d’être d’une chose ne diffère pas réellement de cette chose.

Mais si par chose (res), on entend, d’une manière plus large, tout ce qui a, dans la nature, une existence positive, on pourra dire que le mouvement est autre chose que la forme acquise, qu’il en diffère réellement. « Il en diffère parce qu’il ajoute à cette forme un certain mode, une certaine manière d’être, que la forme, prise en elle-même, ne suppose pas. Cette diversité se marque par plusieurs caractères.

» En premier lieu, le mouvement diffère de la forme en ce que la forme pose simultanément la totalité de la chose qu’elle est ; une forme complète pose simultanément la totalité de la chose complète qu’elle est ; une forme incomplète pose simultanément la totalité de la chose incomplète qui est de sa nature ; le mouvement, au contraire, ne saurait, par sa nature même, avoir

  1. Preclarissime questiones litterales edite a fratre Gratiadeo esculanosuper libros Aristo de physico auditu,.. ; lib. III, lecture. III, quæst. V ; éd. Venetiis, 1503, fol. 31, col. b.