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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

mes propres, prendre le passé et tant qu’il est passé et le futur en tant qu’il est futur, sans considérer aucunement leur connexion mutuelle dans le présent indivisible ; de cette manière, le temps a la nature des choses discontinues. De cette manière, aussi, l’âme ne se comporte pas seulement à l’égard de ces deux parties comme à l’égard de choses dont elle a connaissance, mais comme à l’égard de choses quelle a elle-même posées et cette existence découpée, discontinue et connaissable ; en effet, c’est de l’âme seule que le temps tient cette discontinuité et coupure… Le temps, par sa nature réelle, est doué de continuité : il est donc impossible que la discontinuité lui soit inhérente par sa nature réelle. Partant, cette discontinuité est, pour le temps, chose accidentelle. — Isto modo anima se habet adista, non solum ut cognita sunt ab ea, sed quasi in tali esse cognoscibili, præciso et discreto posita. Talem enim discretioned et præcisionem non habet nisi ab anima… Tempori ex natura rei inest continuitas ; ergo impossibile est quod sibi ex natura rei insit discretio. Ista igitum discretio accidit tempori. »

Telle est, au sujet de l’essence du mouvement et du temps, la doctrine que l’École scotiste a élaborée et qui, dans les Questions de Jean le Chanoine, a pris sa forme définitive. Il est impossible, croyons-nous, de lire l’exposé de cette doctrine sans se souvenir de la théorie que Damascius avait développée au sujet du temps et du mouvement, et que Simplicius nous a conservée. L’influence de Simplicius, si reconnaissable en ce que les Scotistes et les Occamistes ont enseigné au sujet du lieu, se fait également sentir ici. Cette influence fut certainement très grande au commencement du xive siècle ; au moment où, sur nombre de points, les philosophes délaissaient la pensée péripatéticienne, elle leur fournit, à maintes reprises, des solutions propres à remplacer les thèses, reconnues insoutenables, d’Aristote et d’Averroès.

Bien que la théorie du temps et du mouvement développée par Jean le Chanoine soit d inspiration néo-platonicienne, elle n’atteint cependant pas le terme où cette inspiration la pousserait ; elle ne va pas jusqu’à faire du temps une réalité distincte des choses changeantes et mobiles.

« Le temps », au gré du Chanoine[1], « ne se distingue pas réellement du mouvement dans lequel il existe. » La preuve en est que, par aucune puissance, fût-ce celle de Dieu, le mouvement ne pourrait être réalisé sans que le temps le fût. « Le temps est

  1. Joannis Canonici Op. laud., lib. IV, quæst. V, 3e dibitatio ; éd. cit., fol. 44, coll. c et d.