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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

qu’aucune autre chose lui soit adjointe ; il y a plus si Dieu, tout en détruisant toutes les autres choses, conservait cette ligne, elle serait encore véritablement finie, terminée et continue. Or cette chose indivisible n’est point admise pour une autre raison [que d’assurer à la ligne la limtude, des termes et la continuité]. Il semble donc impossible aussi bien que superflu d’admettre que le point soit une telle chose indivisible. »

Qu’est-ce donc que le point ?

N’être pas dupe des mots, tel est le grand souci d’Ockam ; et la iorce de sa logique se tire de l’habileté avec laquelle il échappe à la piperie des termes abstraits, de la subtilité avec laquelle il pénétre jusqu’au sens qu’ils dissimulent. Avec une grande finesse, il montre que ce mot unique : point, ne désigne pas une idée simple, mais un assemblage complexe de notions diverses ; que cet assemblage, d’ailleurs, n’est pas toujours le même, mais qu’il change avec les circonstances où le mot point est employé. « Ce mot : point, équivaudra à ceux-ci : Une ligne de telle ou telle longueur ; ou bien à ceux-ci : Une ligne qui ne se prolonge pas plus loin ; ou bien à quelque autre complexe d’un nom et d’un verbe accompagnés d’une conjonction ou d’un adverbe. »

Cette habileté à mettre en évidence le sens complexe d’un terme abstrait introduit, dans le langage d’Ockam, une précision et une rigueur comparables, de tout point, à celle dont se piquent les mathématiciens modernes. En veut-on un exemple ?

À ceux qui dénient au point toute réalité, leurs adversaires font cette objection[1] : « Qu’un corps parfaitement sphérique soit réalisé par la puissance divine et qu’il soit mis au contact d’un corps absolument plan, cela est impossible ; qu’un corps sphérique touche un plan, cela implique contradiction ; s’il le touchait, en effet, comme ce ne peut être, [par hypothèse,] suivant un indivisible, il faut qu’il le touche suivant une partie divisible ; or, de quelque manière que cette partie soit donnée, elle sera sphérique, puisque partie d’un corps sphérique. »

« On pourrait répondre autrement, et peut-être mieux, répond Ockam ; on pourrait dire que le corps sphérique touche le plan par une de ses parties divisibles. Mais alors, dira-t-on, cette partie n’est pas sphérique. Je réponds en niant cette conséquence, car elle ne résulte pas des prémisses, à moins que l’on ne donne, tout d’abord, une partie qui, en sa totalité (secundum se totam), tou-

  1. Gulielmi de Ockam Quodlibeta septem ; quodlib. I, quæst IX : Utrum linea componatur ex punctis.