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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

de eo), et comme étant distingués (discreta) par la raison en partie qui précède et partie qui suit.

» Selon cette distinction, je formule trois propositions, dont voici la première :

» Quant à sa nature formelle, quant à l’existence qui lui confère la continuité, ou, en d’autres termes, lorsqu’on le considère de la première manière, le temps existe hors de l’âme…

» Seconde proposition : Si l’on considère le mouvement selon son existence coupée [en mouvement accompli et mouvement à accomplir] (esse discretum), il tient son existence de l’âme ; j’entends par là que cette existence coupée, c’est de l’âme seule qu’il la tient ; c’est un acte de l’intelligence qui le pose en cette existence-là, encore que le substratum en soit dans la réalité des choses. En voici la preuve : Dans une chose à laquelle la continuité convient par nature, la séparation (discretio) ne saurait résider par nature. Or, par nature, la continuité est inhérente au mouvement, car ce n’est pas un acte de l’intelligence que les diverses parties du mouvement se continuent les unes les autres et se soudent entre elles…

» Troisième proposition : Si on le prend de la troisième manière, le mouvement existe à la fois dans l’âme et hors de l’âme ; par son existence coupée (esse discretum), il est dans l’âme ; par son existence continue (esse continuum), il est hors de l’âme. Cela est évident par les deux premières propositions dont celle-ci dépend et découle. »

Parfaitement clair est ce texte ; mais si l’on souhaitait de l’éclaircir encore, il suffirait de s’adresser à Jean le Chanoine lui-même et de l’entendre répéter à propos du temps[1] ce qu’il vient de dire du mouvement.

« Sachons que le temps peut être considéré de deux manières.

» En premier lieu, il peut être considéré quant à sa continuité, quant à son extension qui s’écoule sans cesse (extensio in fluxu continua) ; touchant cette continuité du temps, notre âme n’a aucune action.

» En second lieu, on peut le considérer en ayant égard à sa séparation (discretio) ; on peut le couper, et distinguer le passé, que l’on regarde comme acquis et franchi, du futur, regardé comme étant encore à venir ; on peut considérer chacune de ces deux parties [le passé et le futur], en tant que bornée par ses ter-

  1. Joannis Canonici Op. laud., lib. ! V, quæst. V, art. II ; éd. cit., fol. 43, col. d.