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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

temps existe d’une manière actuelle lorsque le passé de ce temps se continue sans interruption avec le futur. Un mouvement existe d’une manière actuelle lorsque la partie déjà accomplie de ce mouvement se soude sans discontinuité à la partie qui demeure à accomplir. Poser l’existence actuelle d’une entité successive c’est donc, purement et simplement, affirmer qu’il n’y a, dans cette entité, aucune séparation, aucune coupure entre ce qui est fait et ce qui est à faire.

Entre le passé et le futur, la soudure se fait par un indivisible, l’instant présent (nunc). Entre la partie déjà accomplie d’un mouvement et la partie qui demeure à accomplir, la soudure se fait par un indivisible, l’état instantané (mutatum esse). Au lieu de dire qu’en un continu successif, ce qui est fait et ce qui reste à faire se soudent entre eux sans discontinuité, ce qui constitue l’existence actuelle de cette entité successive, on peut aussi bien dire que l’indivisible qui assure cette soudure continue existe d’une manière actuelle. Il reviendra donc au même de dire qu’un temps existe d’une manière actuelle ou bien que l’instant présent (nunc) de ce temps existe d’une manière actuelle ; que tel mouvement s’accomplit actuellement ou bien que tel mutatum esse est actuellement réalisé.

Les mots dicitur, denominatur, qui reviennent, à chaque instant, au cours de l’exposé de Jean le Chanoine marquent assez qu’en son esprit, il s’agit ici de définitions de mots ; il s’agit de fixer le sens que le terme exister actuellement prend pour une réalité purement successive et pour l’indivisible qui lui correspond.

Venons maintenant à la seconde question que notre auteur se propose d’examiner[1] : Le mouvement existe-t-il seulement dans l’intelligence ou bien existe-t-il hors de notre esprit ?

« Au sujet de cette seconde question, voici la distinction que je pose :

» Il y a, dans le mouvement, trois choses à considérer : 1o Sa continuité (continuitio) par laquelle son écoulement, ne connaît ni cessation, ni arrêt, ni défaut ; 2o Ce qui, de ce mouvement, est déjà accompli, en le regardant comme distinct, comme séparé, comme coupé, pour ainsi dire, de ce qui reste à accomplir ; 3o À la fois ce qui est accompli et ce qui demeure à accomplir, en les regardant comme se continuant l’un l’autre, dans la réalité, par ce qu’il y a d’instantané dans le mouvement (ad illud quod star

  1. Jean le Chanoine, loc. cit. ; éd. cit., fol. 34, col. d, et fol. 35, col. a.