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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

chose successive se continuent, en effet, les unes les autres, se soudent les unes aux autres suivant un certain indivisible.

» Troisième proposition ; C’est par suite de l’existence en acte de cet indivisible qui soude les unes aux autres les diverses parties d’une chose successive que l’on dit de cette chose qu’elle existe. Par le fait, dis-je, qu’un instant existe en acte, on dit que le temps dont il est la soudure existe en acte ; ce n’est pas, toutefois, qu’une partie quelconque de ce temps existe d’une manière actuelle, car toute partie du temps est faite ou à faire, en sorte qu’aucune de ces parties n’est en acte ; mais on dit du temps tout entier qu’il existe par suite de l’existence de l’indivisible qui en soude les parties, et cela en raison même de cette continuité… Bien que l’instant ne soit pas le temps et que l’état instantané (mutatum esse) ne soit pas le mouvement, c’est par l’existence de ces indivisibles que l’on dit du temps et du mouvement qu’ils existent. Ainsi voici une proposition qui est vraie : Je cours à cet instant présent ; cependant, l’action de courir ne se trouve pas en moi à cet instant. On dit que l’action de courir se trouve actuellement en moi ; cependant, aucune partie de cette action n’existe en moi, car toute partie de la course est déjà achevée ou est encore à accomplir ; mais cette action réside en moi, parce que les parties de cette action se continuent et se suivent les unes les autres d’une manière actuelle ; par suite de l’existence d’un certain indivisible qui soude entre elles ces parties, on dit de l’action de courir qu’elle réside actuellement en moi. »

Arrêtons-nous un instant, et résumons ce que nous venons de lire.

Pour qu’une ligne existe d’une manière actuelle, il faut que toutes les parties de cette ligne existent simultanément d’une manière actuelle ; ces parties, dans la ligne continue, se soudent l’une à l’autre par un point indivisible qui existe seulement en puissance ; mettre ce point en acte, le marquer, c’est interrompre la continuité de la ligne, c’est la couper. Il en est ainsi, mutatis mutandis, de toutes les réalités continues et permanentes.

L’existence actuelle s’entend d’une toute autre manière d’une réalité continue, mais essentiellement successive, comme le mouvement ou le temps ; des parties d’un tel continu, les unes sont accomplies, passées ; les autres demeurent à accomplir, sont futures ; il serait donc contradictoire de prétendre que toutes les parties d’un tel continu existent simultanément.

On dit, cependant, d’un tel continu essentiellement successif qu’il existe actuellement, et voici ce que ce terme signifie : Un