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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

n’est pas la forme qui s’écoule, mais l’écoulement de celle forme (non forma fluens, sed fluxus formæ). »

« Le mouvement, poursuit Mayronnes[1], existe-t-il seulement dans l’âme ou bien existe-t-il dans la réalité extérieure à l’âme ? — Un certain docteur dit ici qu’il existe seulement dans l’âme ; de même, en effet, que, du temps, nous n’avons rien, sinon l’instant présent (nunc), de même, du mouvement, nous n’avons rien, sinon l’état actuel (mutatum esse). »

À ces propositions qui semblent textuellement empruntées à Jean de Bassols, notre auteur oppose cette affirmation : « Le mouvement existe hors de l’âme. »

« Mais une difficulté se présente, ajoute-t-il, car certains prétendent que le temps existe, dans la réalité des choses, par l’instant présent (nunc) ; mais cela est faux, car, alors que l’instant présent existe, il est impossible que le temps soit ; je dis donc que le temps tient son existence de ses parties et non pas de l’instant présent, de même que la ligne ne tient pas du point l’existence qu’elle a dans la nature des choses. »

Ces dernières lignes ne visent sans doute pas Jean de Bassols, mais bien Pierre Auriol et ses partisans, En son Commentaire sur le Second livre des Sentences, en effet, Pierre Auriol avait donné une théorie du temps[2] dont nous demanderons à Jean le Chanoine de nous fournir le résumé.

Le temps, au gré d Auriol[3], « ce n’est pas autre chose que le passé et le futur auquel vient s’adjoindre une certaine continuité » ; le passé, d’ailleurs, ce n’est pas autre chose que ce qui est avant le présent et le futur.

La continuité entre le passé et le futur, qui seule constitue le temps, est assurée par l’instant présent (nunc)[4]. Il y a, d’ailleurs en toute la durée, un seul instant présent qui, toujours, demeure substantiellement le même, comme le point qui décrit une ligne

  1. Francisci de Mayronis Op. laud. lib. II, dist. XIV, quæst. X, ed. cit., fol. 152, col. b.
  2. Petri Aureoli Verberii Ordiniis Minorum Archiepiscopi Aquensis S. R. E. Cardinalis. Commentariorum in Secundum Librum Sententiarum. Tomus secundus (en réalité Tomus unicus). Romae, Ex Typographia Aloysij Zanetti. MDCV. Distinctio secunda, quæst. prima.
  3. Joannis Canonici Quæstiones super VIII libros Physicorum ; lib. IV, quæst. V, art. I ; ed. Venetiis, 1520, fol. 43, col. c. — Cf. Petri Aureoli Op. laud., quæst. cit., art. I : Utrum tempus sit duratio vel successio, sive quantitas continua, vel discreta. Ed. cit., p. 33, col. a.
  4. Joannis Canonici Op. laud., lib. IV, quæst. VI, art. I ; éd. cit., fol. 45, col. c. — Cf. Petri Aureoli Op. laud., quæst. cit., art. V : Utrum sit idem nunc in toto tempore.