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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

employé ici par Jean de Bassols est, dans les écrits des divers Scolastiques, sujette à être prise en deux sens différents et, pour ainsi dire, opposés, en sorte qu’elle peut conduire à de graves confusions.

Tous les Scolastiques, dans leurs discussions sur le mouvement, considèrent deux formes, alors même qu’ils rejettent la réalité de l’une d’entre elles. La première est la forme qui pourrait demeurer d’une manière permanente, mais qui, au cours du mouvement, ne subsiste pas et est acquise partie par partie. La seconde est une forme distincte de celle-là, essentiellement successive, dont la persistance est inconcevable.

À cette dernière forme, beaucoup, comme Duns Scot et Jean de Bassols, donnent le nom de forme coulante (forma fluens) ; mais d’autres réservent ce nom de forme qui s’écoule (forma fluens) à la forme qui, au cours du mouvement, est acquise partie par partie ; à la seconde, ils donnent alors le nom d’écoulement de la première forme (fluxus formæ). De là, la conséquence suivante : Lorsque ces derniers disent : Le mouvement n’est pas la forme qui s’écoule, motus non est forma fluens, ils expriment la pensée même que les premiers énoncent ainsi : Le mouvement est une forme coulante, motus est forma fluens. Ils s’accordent, alors qu’ils semblent se contredire formellement.

C’est à quoi il faut faire attention si l’on veut reconnaître, par exemple, que François de Mayronnes est d’accord avec Duns Scot et avec Jean de Bassols.

« Le mouvement, dit François de Mayronnes[1], est-il la succession ou bien ce qui est successif (successio vel successivum) ? Par ce qui est successif, nous entendons ce qui est acquis (per suceessivum, intelligimus quod acquiritur). » Nous voici avertis de suite que par ce qui est successif, successivum, François de Mayronnes entend la réalité permanente successivement acquise et non pas la réalité essentiellement successive que, sous ce même nom de successivum. Jean de Bassols oppose à la réalité permanente : cette réalité essentiellement successive, François la nomme succession, successio.

« Ce qui est successif, poursuit Mayronnes, c’est la forme et non pas le mouvement.

» Mais qu’est-ce donc que le mouvement ? Nous dirons que ce

  1. Scripta Francisci de Mayronis in quatuor libros sententiarum, lib. II, dist. XIV, quæst. IX ; éd. Venetiis, Octavianus Scotus, 1520, fol. 152, col. b.