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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

pas énumérées dans le mouvement comme le sont les parties dans un tout, car le temps et le mouvement diffèrent réellement l’un de l’autre, comme on le voit au quatrième livre des Physiques. Les parties successives du temps sont énumérées dans le mouvement comme en un sujet [au sein duquel elles résident]. Le mouvement, en effet, est le sujet du temps, en sorte que le temps, à son tour, est une propriété (passio) du mouvement ou, tout au moins, du premier mouvement

» Ces parties successives du temps sont le passé et le futur qui se soudent l’un à l’autre par le présent, par l’instant, par le maintenant (nunc). Ce présent (nunc) est, du temps, la seule chose que nous avons en acte hors de l’intelligence. Je ne pense pas, en effet, que les parties du temps aient aucune unité actuelle hors de l’intelligence ; cette unité, elles la tiennent seulement de l’intelligence ou de l’âme.

» Mais alors, il nous faut voir comment le temps peut être quelque chose hors de notre intelligence, alors que les parties de ce temps n’existent pas hors de notre intelligence, alors que, du temps, nous n’avons rien [qui existe hors de notre intelligence], sinon le seul présent (nunc), présent qui n’est ni un temps ni une partie d’un temps. C’est chose fort difficile. En effet, tout ce qui est quelque chose hors de notre esprit, qu’il soit permanent ou successif, existe d’une manière actuelle hors de notre esprit, semble-t-îl. Mais, d’autre part, une partie du temps n’existe jamais, car on n’a jamais rien du temps, sinon le présent, qui n’est ni un temps ni une partie de temps. Semblable difficulté s’offre, d’ailleurs, au sujet du mouvement. Comprenne qui pourra ; pour moi, je ne comprends pas bien : Qui belle potest capere, capiat ; tamen non capio bene. »

À signaler ce qu’il y a d’incompréhensible dans le mode d’existence du temps, Jean de Bassols n’est assurément pas le premier ; Archytas de Tarente avait déjà dit la même chose, presque dans les mêmes termes, et Aristote avait répété les propos d’Archytas ; et, sans doute, tant qu’il se trouvera des hommes pour philosopher sur le temps, ils en seront réduits à répéter : « Qui potest capere, capiat ; tamen non capio bene. »

Quoi qu’il en soit, Jean de Bassols a nettement affirmé que le temps, aussi bien que le mouvement, n’était pas une réalité permanente, mais une réalité coulante, non aliquid permanens, sed fluens.

L’expression : forma fluens, que nous avons rencontrée dans le langage de Duns Scot, et que rappelle le terme aliquid fluens