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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

1o Dès là que le mouvement d’un corps isolé dans le vide est considéré comme possible, on est tenu de regarder le mouvement comme une réalité distincte du moteur, du mobile et de l’ubi produit dans le mobile par les corps qui l’entourent.

2o Si le mouvement d’un corps isolé dans le vide était regardé comme impossible, il n’y aurait aucune raison pour admettre que le mouvement constitue une telle réalité distincte.

Cette thèse de Bonet est l’expression très claire et très complète de la pensée de Duns Scot.

De cette pensée de Duns Scot, quelle a été l’influence sur le développement de la théorie du lieu, nous l’avons dit au chapitre précédent ; cette influence ne sera pas moindre sur le développement de la théorie du mouvement, tellement liée à la théorie du lieu qu’elles ne font, pour ainsi dire, à elles deux, qu’une doctrine ; mais la théorie du temps, à son tour, ne se sépare guère de la théorie du mouvement, en sorte quelle va se trouver, elle aussi, transformée par l’enseignement scotiste.

L’attention des philosophes scolastiques était, d’ailleurs, attirée vers la théorie du temps par l’une des décisions qu’avait prises Étienne Tempier ; ce dernier avait condamné comme erronée la proposition suivante[1] :

« Quod ævum et tempus nihil sunt in re, sed solum apprehensione. »

Cette condamnation contraignait ceux qui en voulaient tenir compte de rechercher quelle est, hors de l’esprit, la réalité que possède le temps ; et les disciples de Scot faisaient naturellement du temps le type des réalités successives, des formes coulantes.


II
Le mouvement et le temps considérés comme réalités coulantes.
L’École scotiste. Jean de Bassols. François de Mayronnes.
Pierre Auriol. François Bleth.


Que le changement ou le mouvement soit, comme l’enseignait Averroès, du même genre que la forme à laquelle il tend, cela semble à Jean de Bassols affirmation contraire au bon sens.

« Toute forme qui n’est point ordonnée à un certain terme (et

  1. Cette proposition est la 200e du décret d’Étienne Tempier et la 86e de la liste classée par le R. P. Mandonnet.